Bataille en haute mer sur le sort du Clémenceau
Pendant près de 40 ans, le porte-avions Clémenceau a été la fierté de la Marine Française, naviguant dans les zones de guerre, depuis l’Adriatique jusqu’au Golfe Persique. Maintenant, sa vaste coque rouillée est bloquée en Mer d’Arabie par une controverse diplomatique et écologique entre la France et l’Inde.
Lundi prochain, la Cour Suprême Indienne doit décider si elle autorise le Clémenceau à continuer son voyage vers Alang, le plus grand cimetière de navires en Asie, ou si elle ordonne son retour en France.
Le sort du Clémenceau est dans l’incertitude après que Greenpeace, l’association écologiste, ait obtenu un ordre de la cour à Delhi interdisant au navire d’entrer dans les eaux indiennes. La controverse oppose les gouvernements français et indiens aux écologistes qui prétendent que le chantier d’Alang n’est pas équipé pour démanteler un navire de 26.000 tonnes contenant de l’amiante.
Alang, une ville portuaire décrépite située à 500 km au nord de Bombay, est le centre de la très controversée industrie indienne du démantèlement de navires, où les travailleurs, ne portant que peu de protection et exposés à des substances comme l’arsenic ou des peintures au plomb, ne sont payés que 3€ par jour pour découper les navires avec de primitifs chalumeaux à acétylène et, souvent, leurs mains nues.
Les Français rejettent les accusations de Greenpeace, indiquant que le travail le plus dangereux, le retrait de 115 tonnes d’amiante friable, a été effectué avant que le navire de guerre ne quitte le port de Toulon.
La plus haute juridiction indienne va rendre son verdict après avoir reçu les recommandations d’une commission de surveillance de l’environnement spécialement nommée. Cependant, les écologistes craignent que sa décision ne soit fortement influencée par l’alliance militaire de plus en plus grande entre la France et l’Inde. La France a récemment obtenu un contrat de plusieurs milliards de $ pour la fourniture à l’Inde de 6 sous-marins d’attaque Scorpène.
Les Indiens sont très divisés sur le sort à réserver au Clémenceau. Les démolisseurs de navires d’Alang voient le gros contrat de démolition du Clémenceau en termes plus simples - c’est leur seul espoir d’avoir de la nourriture sur la table, quels que soient les dangers.
Dans les années 1970, la démolition des navires s’effectuait en Europe. Mais, comme les nations industrielles ont été poussées à améliorer leurs réglementations écologiques, et les mesures de sécurité et de protection de la santé, le coût de la démolition d’un navire a explosé, forçant les chantiers à fermer leurs portes.
Aujourd’hui, environ 90% de l’industrie mondiale de la démolition des navires est basée dans 4 pays - Inde, Bangladesh, Chine et Pakistan - qui tirent partie de réglementation plus souple pour la protection de l’environnement et de la sécurité du travail.
Ces dernières années, les chantiers de démolition de navires d’Alang et de sa voisine Sosiya ont perdu des dizaines de contrats importants au profit du Bangladesh, du Pakistan et de la Chine. Touchés de plein fouet par les droits de douane, d’accise et d’autres taxes, les chantiers, qui ont employé jusqu’à 35.000 personnes et qui démolissaient 90% des navires dans le monde, emploient désormais moins de 10.000 personnes.
“Si la tendance n’est pas renversée, alors le jour n’est pas très éloigné où les chantiers de démolition seront forcés de fermer leurs portes, laissant de nombreuses personnes sans moyen de subsistance,” a déclaré Mukesh Patel, de Shriram Vessel and Scrap, la société qui a acheté le Clémenceau.
Par Dan McDougall à Delhi
Source : The Times (Londres)