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Le sous-marin canadien HMCS Chicoutimi, endommagé par un (…)
Cent trente mètres sous la surface d’un Océan Atlantique secoué par la tempête, Stuart Young et "Shiner" Wright font du pain à bord d’un sous-marin de Sa Majesté. Il est près de minuit, et dans une cuisine de 3 mètres sur 2, les 2 hommes pétrissent la pâte qui, six heures plus tard, deviendra de la viennoiserie fraîche sur la table du petit-déjeuner pour les 120 hommes d’équipage du HMS Sceptre.
"S’il n’y avait pas les repas, vous pourriez oublier quel jour de la semaine on est," dit Young. "La journée sur un sous-marin est répartie entre manger, travailler et dormir. Par conséquent, la nourriture est vitale."
C’est ainsi que, lorsque le menu de la semaine est affiché dans la coursive du HMS Sceptre, devant la cuisine, les mêmes plats apparaissent le même jour de la semaine. Poisson le vendredi, steak le samedi, pizza le dimanche, et ainsi de suite [1].
Avec 120 hommes à bord d’un tube d’acier de 85 mètres de long, lourdement armé, propulsé par un réacteur nucléaire, pesant près de 5.000 tonnes, il y a beaucoup de cuisine à faire. L’équipe de l’intendance cuisine des centaines de repas par jour pour l’équipage du sous-marin qui travaille à un rythme constant de 6 heures de travail, 6 heures de repos. Après 12 heures à bord d’un sous-marin, il devient impossible de savoir si c’est le jour ou la nuit.
Un pont au-dessus de la cuisine, le central opérations, ou "ops", est très occupé. Sur un fauteuil situé au centre de la pièce se tient l’officier de quart [2], à cette heure tardive, le Lieutenant James Stilwell, 32 ans originaire du Hampshire. Il porte le nouvel uniforme des sous-mariniers : pantalon bleu foncé, un tee-shirt, avec un petit drapeau anglais sur le bras gauche. Les 2 anneaux dorés de son grade de lieutenant sont au centre de la poitrine.
"Ce travail est difficile pour le corps," dit-il en souriant, "mais il est unique, et vous le faites avec des gens uniques. Tout ici est inhabituel, différent, quelque chose que personne d’autre ne peut faire."
Ce père de 2 enfants explique qu’il a faité son anniversaire la veille, que sa femme et ses 2 enfants lui manquent, il s’interromp pour donner un ordre sur un ton calme, répète un changement de cap pour le barreur, ou pour accuser réception d’une des nombreuses informations venant du sonar, de la salle des machines, de l’opérateur périscope ou du barreur en face de lui. Il est entouré par une masse de claviers, de tuyaux, d’écrans, de panneaux de signalisation et de lumières. Avec le peu d’espace disponible, chaque centimètre carrée est utilisé au maximum.
Le HMS Sceptre est un sous-marin nucléaire de 30 ans. 130 mètres au-dessus de lui, les eaux du Sound of Rona, un détroit entre l’Ecosse et l’île de Skye, sont agitées par la tempête. Le Sceptre mène des essais à la mer, 2 jours au début d’une patrouille de 5 mois qui va le voir faire escale à Gibraltar, visiter le Golfe Persique et le Moyen Orient.
Ici, dans le Sound of Rona, elle mène une série d’exercices afin de déterminer sa "signature acoustique" - en d’autres termes, s’il est facile pour les sonars de bateaux de surface ou d’autres sous-marins d’identifier le bruit émis par ses diverses machines.
Le travail dans le central Opérations est caractérisé par le calme, le professionnalisme confiant, mené par des personnes qui savent qu’ils sont bons dans ce qu’ils font et qu’ils sont dans un environnement où l’excellence est cruciale. La vie de chaque homme est entre les mains de ceux qui l’entourent. Comme le dit un marin : "Il n’est pas question de merder quand vous conduisez un sous-marin nucléaire de 5.000 tonnes 150 mètres sous la surface, avec des produits explosifs à bord."
"Ce qui est génial dans les sous-marins," ajoute un autre lieutenant du bord, "c’est qu’il n’y a pas de place pour les passagers ou les emmerdeurs."
Cela ne doit pas laisser entendre que les 5 ponts bondés du HMS Sceptre sont exempts d’humour. Loin de là. Quand la vie se résume à des constituants de base - manger, dormir, se déplacer, faire du sport - qui se déroulent dans un environnement très différent de la vie de tous les jours pour la plupart des gens, garder une perspective équilibrée est indispensable. Les grognes des marins sont les mêmes que celles des autres militaires : les salaires, l’effet du travail sur les amis et les mariages, le maigre confort. Mais la plupart admettent aimer cette vie. Certains semblent même l’apprécier.
Un pont sous le central opérations, la cafétariat déborde. Dans le monde extérieur, il est peut-être une heure du matin, mais, à bord du HMS Sceptre, les marins viennent juste de se lever avant d’aller travailler, vont aller se coucher, prendre une douche, faire du sport ou, pour certains, faire une partie de Trivial Pursuit.
A côté du plateau de jeu, la foule envahit le mess. Tout le monde semble avoir un surnom.
Penchés sur une table, "Dusty" Miller et "Whisky" Walker regardent la partie de Trivial Pursuit. Un mécanicien, "Sandra" Bulloch lit un livre de Michael Moore. Au-dessus de leur tête, sur les murs, des posters de la joueuse de tennis Anna Kournikova, et d’une infirmière très... bien équipée. Des DVD comme Gladiator et Heat sont en évidence. Ce qui semble absent sont des films emblématiques comme Das Boot, Octobre Rouge.
Comme beaucoup de gens ne verront jamais l’intérieur d’un sous-marin nucléaire, l’impression ressentie à bord ressemble à celle de films comme Octobre Rouge avec Sir Sean Connery remontant aux années 1990 ou, plus récemment, U-571 sorti en 2000.
Les énormes sous-marins nucléaires lanceurs d’engins comme la classe Vanguard peuvent être légèrement plus spacieux que les sous-marins que l’on voient dans ces films, spécialement en comparaison avec les sous-marins diesel de la 2nde guerre mondiale, mais le principe demeure.
"De nos jours, les choses sont faites à un rythme plus lent, explique le Lieutenant Stilwell. Nous n’avons pas besoin de plonger rapidement pour échapper à une attaque aérienne."
3 ponts en dessous, les torpilles sont alignées dans la salle des torpilles. Les torpilles Spearfish ressemblent à des missiles noirs et massifs, 6 mètres de long, et la même largeur, disons, d’un sous-marin bien bati qui a vécu sur les plats bien nourrissants fournis par la cuisine. Il y a 5 tubes lance-torpilles, dont un pointe vers le bas.
"Le meilleur moyen d’attraper un sous-marin est depuis un autre sous-marin," explique le maître principal Dave Diffey, montrant ce tube. Puis, regardant autour de lui ce qui est accroché au plafond et aux cloisons, il ajoute : "la seule chose qui pourrait nous empêcher de rester en mer et la nourriture et la santé de l’équipage."
Avec 22 ans de service, il est le "capitaine d’armes" [3], responsable de la discipline et du fonctionnement en douceur du HMS Sceptre. Dans des hamacs accrochés autour, sur le coté, au-dessus, au-dessous des torpilles dorment des marins. Un pied dépasse d’une couverture bleu ; un ronflement retentit de temps en temps. L’odeur est un mélange d’huile, couvertures et d’autres odeurs d’origine humaine. Des centaines de cartons de lait UHT sont posés sur une plateforme. Des foure-tout contenant les possessions des marins dormant ici sont accrochés là où il reste de la place. Le seul bruit, à 130 mètres sous la surface, est le léger bruissement de la ventilation.
Sur le pont au-dessus, derrière des rideaux tirés, s’étendent des rangées de couchettes où dorment d’autres marins. Les "racks" contiennent 3 couchettes l’une au-dessus de l’autre, chacun des occupants disposant d’environ 60 cm de haut sur 1,80 m de long. Il n’y a quasiment aucune vie privée possible. Des nos jours, les sous-mariniers disposent chacun de leur propre couchette, mais le système de la "bannette chaude", le partage des couchettes, continue pour certains, principalement les nouveaux embarqués ou les passagers.
Ceux qui ne sont pas de quart mais qui ne dorment pas, sont ailleurs dans le sous-marin. Dans un local bondé, rempli d’équipement et de treillis métallique, un marin s’entraîne sur un vélo d’appartement. Il y a un rameur dans la salle des torpilles, permettant à ceux qui n’ont pas la place de marcher de prendre de l’exercice.
Curieusement, il y a aussi un endroit pour fumer [4]. L’odeur de tabac froid remplit ce local. Un sous-marin nucléaire produit son propre air, son eau et son électricité, la ventilation aspire la fumée de cigarette, mais l’odeur persiste.
Dans la "salle à fumer", on discute des tatouages que l’un des marins a l’intention de se faire faire lorsque le HMS Sceptre fera escale à Singapour.
"Un grand dragon de sang, de cette taille," explique-t-il. Puis quelqu’un raconte une longue anectode à propos de l’infortuné marin du sonar qui est allé se faire tatouer "Bernadette" sur le bras gauche alors qu’il était saoul.
"Il s’est réveillé et il n’avait que ‘Bernard’ sur le bras," rigole le sous-marinier, tenant une cigarette entre le pouce et l’index. "Donc il s’est fait tatouer une grande panthère noire par dessus."
Vers 6 heures du matin, c’est à peu près l’heure de la fin du quart et celle du petit déjeuner. Dans le carré des officiers, un serveur a dressé la table et sert les plats : bacon, saucisses, haricots, tomates en boîte, gateau de poission et oeufs, frits ou pochés sont au menu [5]. Une sélection de céréales est présentée sur une desserte.
Les officiers mangent en deux services. En haut de la table, juste sous les photographies de la Reine et du Duc d’Edinbourg, s’assoit le commandant en second. Il s’agit du calme et laconique capitaine de frégate "Stu" Capes. Avec le capitaine, il contrôle la vie du sous-marin. Un petit plateau dans le coin avec un anneau en argent est préparé pour le commandant qui mange dans sa cabine.
Les petits pains préparés 6 heures plus tôt sont servis. On ne parle pas travail à table ; toute l’attention se porte le nouveau moulin à poivre électrique qui a une lumière au fond, afin de pouvoir l’utiliser dans le noir. L’athmosphère est calme et humoristique.
Le plateau du commandant lui est amené dans sa petite cabine derrière le central opérations. Sec et avec cet air d’autorité que les grands commandements semblent toujours amener, le Commander Mark Titcomb est le commandant du HMS Sceptre. Il n’a pas de surnom, mais on l’appelle "le vieux", même s’il n’a que 40 ans.
Titcomb est dans la Royal Navy depuis 16 ans, principalement dans les sous-marins. Il a servi dans l’Adriatique pendant la guerre de Bosnie, dans le Pacifique avec l’US Navy, et dans l’Atlantique et les Caraïbes. Il a aussi commandé un chasseur de mine au large de l’Irlande du Nord.
L’équipage du HMS Sceptre ne discute jamais de tactique ou d’opération, mais une question mérite une réponse. Quel est le rôle d’un sous-marin, maintenant que la guerre froide est terminée ?
"Les sous-marins sont aussi utiles qu’ils l’ont toujours été," dit Titcomb. "Ils peuvent être utilisé avec les Forces Spéciales, pour recueillir des renseignements, opérant cachés ou visibles, et pour le lancement de missiles de croisière comme au Kosovo ou en Afghanistan."
Peut après le petit déjeuner, le HMS Sceptre fait surface. Il est huit heures du matin, mais nous sommes très au Nord et l’aube ne s’est pas encore levée. Le Sound of Rona est très agité par la tempête, la pluie poussée à l’horizontale par le vent dans le noir. Monter au sommet du kiosque ou "massif", exige de monter près d’un dizaine de mètres à une échelle couverte d’huile dans le noir complet.
Au sommet, le vent glace comme un congélateur. Un officier et un veilleur, bien emmitouflés dans des vétements étanches, se tiennent dans un espace sous la base du périscope, surveillant l’horizon. Le drapeau blanc de la Royal Navy, frappé au coin de l’Union Jack, flotte bravement dans le vent glacial des îles de l’Ouest de l’Ecosse.
Mais ce n’est pas pour longtemps. Dans quelques jours, le barreur modifiera sa route, dirigeant la forme noir du HMS Sceptre vers le Sud au travers du golfe de Gascogne, vers sa première escale à Gibraltar. La nuit précédente, les marins ont discuté calmement du soleil, et de leur première bière au point le plus au Sud de l’Europe.
CHRISTIAN JENNINGS
[1] Les anglais ont vraiment une drôle d’idée d’un menu pour le dimanche !
[2] que les anglais appèlent officier de la Montre : Officer of the Watch
[3] Sur les sous-marins, français, on l’appelle le patron du pont.
[4] Vrai aussi sur les sous-marins US, mais pas sur les français, quel que soit leur type.
[5] On est sur un sous-marin anglais !
Source : The Scotsman