La Chine augmente la production de sous-marins d’attaque

  • Dernière mise à jour le 28 février 2006.

Les tendances en matière de puissance maritime dans l’Océan Pacifique sont de mauvais augure. D’ici 2025, la marine chinoise pourrait être la puissance dominante dans le Pacifique. Selon certaines estimations, les sous-marins d’attaque chinois pourraient être 5 fois plus nombreux que les sous-marins américains dans le Pacifique. Les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins chinois vont rôder le long du littoral Pacifique américain, chacun suivi comme son ombre par 2 sous-marins d’attaque américains qui ont des choses plus utiles àfaire. Les Etats-Unis, dans le même temps, auront probablement des difficultés àconstruire suffisamment de sous-marins pour relever le challenge.

Une diplomatie déplacée rend certains commandants de l’U.S. Navy très réticents à admettre publiquement que l’expansion très rapide de la force sous-marine chinoise dans le Pacifique est une menace, mais, si la revue quadriennale de la Défense (QDR) et le dernier rapport du Pentagone "Rapport sur la Puissance Militaire de la République Populaire de Chine" (rapport PMRPC) sont des indications, ils y pensent sans aucun doute. Dans un discours devant l’Asia Society à Washington au début du mois, par exemple, l’Amiral Gary Roughead, commandant de la flotte US dans le Pacifique, a déclaré :

« On me demande souvent ce que je pense de la menace chinoise et je réponds : ’Ce n’est pas une menace,’ parce que vous devez réunir 2 conditions pour constituer une menace, et c’est la capacité et l’intention. Il n’y a aucun doute que la Marine de chinoise se modernise, augmente ses capacités et avance très rapidement, mais quelle est l’intention ? »

Le Pentagone a déjà commencé à répondre à cette question, mais il lui reste encore à le faire d’une manière qui montre qu’il prend cette menace au sérieux.

 Les intentions chinoises

La QDR s’intéresse à la question des intentions chinoises :

La modernisation militaire chinoise s’est accélérée depuis la deuxième moitié des années 1990 en réponse aux exigences de la direction centrale de développer des options militaires contre les scénarios de Taïwan. L’augmentation de la puissance militaire chinoise perturbe déjà l’équilibre régional des forces. La Chine va probablement continuer à faire des investissements importants dans certaines capacités militaires, mettant l’accent sur l’électronique et l’informatique, les missiles balistiques et de croisière, les systèmes intégrés de défense anti-aérienne, des torpilles de nouvelle génération, des sous-marins améliorés, des frappes nucléaires stratégiques depuis des systèmes modernes et sophistiqués basés à terre et en mer, des drônes...

Selon le résumé du PMRPC, l’intention spécifique chinoise est de "se doter des moyens de répliquer aux interventions extérieures, y compris une éventuelle intervention américaine dans une crise dans le détroit [de Taiwan]." Le rapport continue en indiquant que "dissuader, combattre ou retarder une intervention étrangère avant la capitulation de Taïwan est une partie importante de la stratégie de Pékin." A cette fin, la Chine augmente sa "force de missiles balistiques (à courte et longue portée), de missiles de croisière, de sous-marins, d’avions de combat et d’autres systèmes modernes."

 Les objectifs de la puissance maritime chinoise

S’ils sont curieux des intentions chinoises, les planificateurs du Pentagone peuvent examiner les commentaires du Général Wen Zongren, commissaire politique de l’Académie des Sciences Militaires de l’Armée Populaire de Libération de la Chine. Le rapport PMRPC cite le Général Wen : la Chine doit "briser" le "blocus [par] les forces internationales contre la sécurité maritime de la Chine... Seulement lorsque nous aurons brisé ce blocage pourrons-nous parler de la montée en puissance de la Chine... La Chine doit passer par les océans et sortir des océans dans son développement futur." En fait, un objectif explicite du Parti Communiste Chinois est "d’augmenter la puissance de la nation."

La marine chinoise - et en particulier sa flotte sous-marine - est un outil clé pour atteindre cet objectif. La promotion en septembre 2004 de l’amiral Zhang Dingfa, sous-marinier de carrière, comme chef d’état-major de la Marine de l’Armée Populaire de Libération avec un siège de plein exercice à la Commission Militaire Centrale était un signal clair de l’importance de la guerre sous-marine dans la stratégie chinoise pour la région Asie-Pacifique.

 Une force sous-marine de plus en plus importante

L’Amiral Zhang a mené le programme de modernisation des sous-marins chinois et supervisé l’acquisition de 4 sous-marins moderne de la classe Kilo de construction, y compris le type 636 furtif. Des commandes de 8 sous-marins supplémentaires ont été passées, la livraison des premiers nouveaux submersibles devant être livrés ce mois-ci. Que 3 chantiers navals russes soient au travail pour remplir les commandes chinoises de nouveaux sous-marins montre l’urgence de cette montée en puissance.

L’Amiral Zhang ne s’appuie pas seulement sur les Russes. Il a aussi augmenté la production - à 2.5 navires par an - de la nouvelle et formidable classe Song de sous-marins diesel électriques chinois. La Chine teste aussi une nouvelle série de sous-marins diesel électrique que la communauté des services de renseignement de la défense a baptisé sous le nom de code "Yuan". Le Yuan est grandement inspiré par des conceptions russes, y compris le revêtement de tuiles anéchoïques et une hélice à 7 pâles extrèmement silencieuse and a super-quiet seven-blade screw. L’ajout d’un système de propulsion AIP ("air-independent propulsion"), qui permet à un sous-marin de rester en plongée jusqu’à 30 jours sans recharger sa batterie, va rendre les sous-marins des classes Song et Yuan virtuellement indétectables par les réseaux américains de surveillance - et même par les sous-marins américains.

Ces nouveaux sous-marins seront encore plus dangereux lorsqu’ils seront armés de torpilles SKVAL ("Squall") russes, qui peuvent atteindre une vitesse de 200 nœuds. Certaines informations laissent croire que le SKVAL est déjà opérationnel sur certains sous-marins chinois. De plus, la Russie a aussi transféré le missile de croisière anti-navire Novator 3M-54E à 3 étages à la flotte sous-marine chinoise. Ils sont principalement conçus pour être utlisés contre des porte-avions. Chaque sous-marin chinois de la classe Kilo est armé de 4 de ces missiles.

 La suprémacie sous-marine américaine en danger

En février 2005, le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld avait déclaré que la taille de la flotte chinoise pourrait dépasser celle de l’US Navy d’ici à une décennie. "C’est une question à laquelle le département réfléchit, s’inquiète et est très attentif." Dans le même temps, l’U.S. Navy effectuera une série d’exercices maritimes majeurs dans le Pacifique cet été, qui impliqueront 4 groupes de bataille de porte-avions, dont un normalement basé sur la côte Est. Ce sera la première fois depuis la Guerre du Vietnam que la Navy déploiera un porte-avions de la flotte Atlantique pour un exercice dans le Pacifique.

Cependant, il y a peu d’indication que le Pentagone prend au sérieux la menace sous-marine chinoise. Si cela avait été, la QDR publiée au début du mois aurait recommandé que l’érosion de la flotte sous-marine américaine soit arrêtée.

Au contraire, la QDR envisage un "retour à un taux de production établi de 2 sous-marins d’attaque par an, au plus tard en 2012 tout en obtenant un objectif de coût par unité de 2 milliards de $." Cela signifie que la flotte sous-marine américaine va continuer à diminuer pendant encore 6 ans, pendant que la base industrielle américaine continuera à se réduire et que le coût à l’unité des sous-marins augmentera au-delà de 2 milliards de $, impliquant d’autres coupes dans la flotte.

Sur les 35 sous-marins américains de la flotte du Pacifique (y compris les 3 sous-marins nucléaires d’attaque qui seront basés à Guam à partir de 2006), une douzaine environ sont à tous moments opérationnels à la mer. Selon les estimations les plus optimistes de la QDR, la flotte sous-marine du Pacifique diminuera à environ 30 sous-marins à l’horizon 2025.

Electric Boat (EB), le premier constructeur américain de sous-marins, a annoncé des projets de licenciement pour 900 de ses 1.700 ingénieurs et dessinateurs sur les 3 prochaines années. La crise est réelle. Cela sera la première fois en 50 ans que les Etats-Unis n’auront aucun projet de sous-marin sur la table à dessin. EB a renvoyé environ 200 ingénieurs et mécaniciens spécialistes des sous-marins au début février - et EB est le seul constructeur aux USA qui dispose d’un bureau d’études. Alors que le rythme de construction des sous-marins chutait, EB a utilisé le travail de maintenance et de réparation pour payer le salaire des ingénieurs et maintenir son effectif de travailleurs hautement compétents. Mais sans nouvelles commandes, EB devra licencier environ la moitié de son effectif (environ 5.000 personnes) sur les 3 prochaines années.

Les commandants opérationnels de l’U.S. Navy exigent déjà 150% du nombre de jours de sous-marin d’attaque actuellement disponibles, et ces exigences ne vont faire qu’augmenter alors que la force sous-marine diminue. Si les Etats-Unis permettent que la production diminue encore, l’expertise sera perdue et les coûts vont exploser lorsqu’il s’agira de concevoir, au-delà de 2012, et de construire de nouvelles classes de sous-marin.

Pendant ce temps, la flotte chinoise de sous-marins d’attaque modernes continue d’augmenter : la Chine possède déjà aujourd’hui 10 sous-marins de la classe Song/Yuan/Kilo dans le Pacifique, plus de 50 sous-marins plus anciens des classes Ming et Romeo, 5 sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Han, et un sous-marin lanceur d’engins de la classe Xia. De plus, la Chine a actuellement commandé 25 nouveaux sous-marins en construction, 16 sont en construction, dont une nouvelle classe de sous-marin nucléaire d’attaque, le type 093, et un nouvel SNLE, le type 094.

L’U.S. Navy a actuellement 3 sous-marins en construction. Bien que le nouveau plan de construction à 30 ans de la Navy prévoit 48 sous-marins nucléaires d’attaque en 2035, le commandant de la force sous-marine de la Navy, le Vice Amiral Charles L. Munns, a témoigné devant le Congrès que la Navy avait besoin d’au moins 54 sous-marins pour accomplir les missions critiques actuelles. Ce nombre ne peut qu’augmenter alors que la marine chinoise augmente sa puissance.

Si la Navy ne commence à lancer de nouveaux sous-marins au rythme de 2 par an que plusieurs années après 2012, la force ne disposera que d’un minimum de 40 en 2028, soit 17 % sous le niveau que la Navy a déclaré avoir besoin. Et ce rythme ne permettra même pas à la Navy d’atteindre sa cible minimale de 48 sous-marins d’attaque avant 2034. Tout ceci présume que la Navy ne désarme pas les navires plus vite que prévu en raison d’un rythme d’opérations plus élevé que prévu dans les prochaines années.

 Recommandations pour l’Administration et le Congrès

Les Etats-Unis doivent revenir à un rythme de construction de nouveaux sous-marins d’attaque de 2, et même si possible 2 et demi, à partir de l’année fiscale 2009. Les Etats-Unis doivent commencer l’approvisionnement de certains composants à long temps de fabrication, comme les réacteurs nucléaires, en 2007 et 2008. Ces étapes sont nécessaires juste pour maintenir stable la puissance de la force sous-marine.

L’Administration devrait aussi travailler avec des partenaires stratégiques en Asie pour améliorer leur flotte. Le Japon et l’Inde sont des partnaires potentiels en guerre sous-marine. Le Japon doit être aussi encouragé à améliorer ses systèmes de lutte anti-sous-marine et de surveillance.

Le Congrès devrait tenir des auditions sur les articles parus dans DefenseNews (13/2/2006) et Jane’s Defence Weekly (15/2/2006) selon lesquels l’U.S. Navy a saboté les efforts de Taïwan visant à se procurer des sous-marins diesel électriques modernes auprès des chantiers américains en multipliant les prix afin d’empêcher les chantiers américains de construire autre chose que des sous-marins nucléaires. Une flotte taïwanaise robuste sera un soulagement bienvenu alors que l’U.S. Navy tente de contrer la pression montante de la flotte sous-marine chinoise dans les eaux cotières de l’Asie. Les Etats-Unis et le Japon ont aussi besoin d’un partenariat avec Taïwan dans la reconnaissance et la surveillance aérienne et sous-marine dans les eaux sous administration de Taïwan.

M. Tkacik est un chercheur sur la politique chinoise au centre d’étude asiatique de la Fondation Héritage.

Source : Human Events