Le Scorpène se mord la queue

  • Dernière mise à jour le 24 novembre 2006.

Une vielle tradition militaire veut que l’on baptise les systèmes d’armement du nom d’animaux sauvages féroces. Une sorte de fétichisme qui prétend transférer àl’arme les attributs du terrifiant animal. Les français ont choisi un poisson venimeux, le scorpène, pour appeler une nouvelle série de sous-marins. Le premier achat du navire, dont le dessin de la coque est basé sur celle des sous-marins nucléaires, fut effectué par la Marine du Chili, qui a commandé le “O’Higgins†et le “Carrera†.

A l’époque, les opposants à cet achat n’ont pas manqué. Ils disaient que c’était un achat à l’aveugle, puisqu’il s’agissait d’un navire qui n’existait pas encore et dont on ne connaitrait ses qualités que plus tard. En bien ou en mal. De même, ils ont souligné que c’était une entreprise bi-nationale entre, d’un côté, les arsenaux Bazán d’alors, Izar plus tard et Navantia aujourd’hui — les changements de nom démontrent les problèmes de la privatisation progressive espagnole — et le français DCN, ce qui pourrait compliquer les contrats, puisqu’une partie pourrait toujours accuser l’autre en cas de problème.

Pour dissiper les doutes, le consortium Scorpène a offert des conditions très supérieures à l’allemand Thyssen-HDW. Le nouveau submersible pouvait plonger à une immersion supérieure de 50% à l’U-209. Et il est important de souligner que l’immersion est un facteur clé. L’autre est le silence de la propulsion. Mais pour les gouvernements, qui tiennent les cordons de la bourse, le prix est un argument primordial. La proposition franco-espagnole était plus économique que celle de l’U-209, essayés et préférés par les sous-mariniers chiliens et qui arrivaient en fin de production commerciale.

Maintenant, le consortium Scorpène agonise. Les français et les espagnols n’ont pas réussi, entre autres choses, à surmonter leurs différences, un euphémisme faisant référence à l’atitude des ingénieurs français qui ont des difficultés à considérer leurs collègues espagnols comme des égaux.

La goutte qui a fait déborder le vase fut l’idée de Madrid de construire une variante du Scorpène, baptisée S-80, équipée avec de l’électronique américaine fournie par Lockheed Martin. Paris tenait pour acquis que les commandes de matériel du S-80 seraient pour ses industriels. Les français, de leur côté, décidèrent de lancer un nouveau modèle, qui s’appèlerait le Merlin. Comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, la France a abandonné la propulsion classique pour ses sous-marins au profit du nucléaire.

De tels navires devraient être interdits dans les eaux latino-américaines, couvertes par le Traité de Tlatelolco. Tant la plateforme, le sous-marin, que les ogives qu’il peut charger, sont nucléaires.

Que va-t-il se passer avec le “Carrera” et l’“O’Higgins” ? Resteront-ils sans pièces détachées si le consortium Scorpène disparaît ? Christophe-Alexandre Paillard, de la direction stratégique du ministère français de la défense, affirme qu’il n’y a absolument aucun danger. A son avis, plus des 2 tiers des sous-marins sont construits en France et bénéficieront de l’assistance nécessaire. La même chose devrait se passer avec Navantia, qui fabriquera les S-80, ayant une importante partie commune avec les Scorpène.

Ce qui se passera avec la Marine Chilienne sera observé avec attention par ses homologues dans le monde. Une mauvaise attention aux besoins du client pourrait fermer beaucoup de portes dans le marché très compétitif des sous-marins. En réalité, il n’y a pas de place pour 2 fabriquants européens de sous-marins. La lente agonie du consortium Scorpène correspond à l’absence de commandes. C’est la dure loi de l’économie de marché : sans demande, l’offre est inutile.

Raúl Sohr


L’article exprime les opinions de l’auteur. La rédaction ne souscrit pas forcément à chacune d’entre elles.

Source : La Nación (Chili)