Bugaled Breizh : une enquête par 2 journalistes (1ère partie)

  • Dernière mise à jour le 19 juillet 2009.

Laurent Richard et Sébastien Turay ont publié cette semaine un livre, « Le Bugaled Breizh - Secrets d’états autour d’un naufrage » , dans lequel ils présentent le résultat de leur enquête. Leur thèse est connue — un sous-marin est responsable du naufrage — le livre vient donc présenter tous les éléments à charge.

Laurent Richard n’est pas, dans cette affaire, un nouvel intervenant : il a déjà participé en 2005 à la préparation de l’émission Pièces à conviction — émission d’information dont j’avais signalé à l’époque certaines erreurs. Il n’est donc pas surprenant que le livre qu’il publie aujourd’hui reprenne la même théorie : un sous-marin est responsable du naufrage du Bugaled-Breizh.

 Un responsable à tout prix

Au début du siècle dernier, et jusqu’à il n’y a pas si longtemps encore, lorsque survenait un accident (et pas seulement en mer), on ne cherchait pas un responsable à tout prix. Depuis quelques temps, les familles tiennent absolument à connaître le responsable, les circonstances, les causes. Il parait que c’est indispensable pour faire le deuil des disparus. Ne pas savoir n’empêchait pas les familles des disparus du siècle dernier de faire leur deuil. Un psychologue pourrait probablement expliquer cette évolution, mais je ne le suis pas.

Au cours de l’enquête, il arrive fréquemment qu’un responsable (pour ne pas dire un coupable) soit désigné. Cela aide les familles de connaître le responsable sans attendre. Mais que dire lorsque, au terme de l’enquête et éventuellement du procès, le coupable désigné est innocenté ? Ceci devrait donc inciter ceux qui écrivent dans ce type d’affaire à ne désigner un responsable que lorsqu’il ne subsiste plus aucun doute.

 Qui a coulé le Bugaled Breizh ?

Pour les auteurs, l’hypothèse la plus vraisemblable est que le SNA anglais Turbulent poursuivait à grande vitesse le sous-marin classique hollandais Dolfjin et qu’il s’est pris dans les fûnes du Bugaled-Breizh. Pour étayer cette hypothèse, ils se sont appuyés sur un certain nombre de faits, de témoignages, de documents.

En passant, on remarquera que, dès le naufrage, de nombreuses personnes sont persuadées de l’implication d’un sous-marin. On ignore encore ce qui a pû se passer, mais tous pensent déjà au sous-marin tueur. Certes, il y a des collisions avec un sous-marin (on vient encore d’en avoir un exemple le 29 décembre dernier), mais elles ne sont pas si fréquentes que cela. Et la plupart du temps, il n’y a pas de décès. Cependant, Serge Cossec, le patron de l’Eridan qui se trouvait à proximité, et Robert Bougéon, le patron du comité local des pêches, disent dans le livre avoir pensé dès les premières heures à une collision avec un sous-marin.

 Où se trouvaient les sous-marins ?

 Une question d’heure

Sur la carte officielle, la position des sous-marins est donnée, non pas à 12:23, l’heure du naufrage, mais à 12:53, heure de la confirmation de la position de la balise par le satellite.

Les auteurs s’étonnent de ces 30 minutes. Pour eux, les ordinateurs de bord des sous-marins conservent l’historique des déplacements des sous-marins, comme le font les ordinateurs des bateaux de pêche. Les auteurs oublient que certains des sous-marins se trouvant dans la zone sont assez anciens (le U22 allemand a été mis en service en 1974, le Dolfjin en 1990, le Turbay en 1981). Leur matériel informatique ne permet probablement pas de réaliser cette opération.

De toute manière, comme l’ont fait les auteurs, ces 30 minutes n’empêchent de réaliser un simple calcul pour déterminer où se trouvaient les sous-marins auparavant.

 Les zones de plongée

Dès l’émission "Pièces à conviction", un élément permettait d’en savoir où les sous-marins étaient autorisés à plonger : le SUBFACT diffusé le 15. Il montre clairement que 3 zones étaient activées au niveau des îles Scilly (A1, A2, B1) et que 2 autres (I1, J1) l’étaient à l’est de Plymouth. Rappelons que le Bugaled Breizh a coulé à l’ouest de Plymouth, à mi-distance des îles Scilly. Le Bugaled Breizh est donc loin des zones de plongée des sous-marins [1], pas “à quelques milles” comme le disent les auteurs.

Le scénario proposé par les auteurs suppose que les 2 sous-marins se trouvaient à peu de distance l’un de l’autre (les portées d’un SNA sur un sous-marin classique avançant aux électriques ne dépassent pas 1 nautique et encore [2]). Or, le principe des zones d’exercice pour sous-marins est qu’une zone est affectée à un sous-marin. Lorsque l’exercice impose que les sous-marins s’approchent l’un de l’autre, une séparation en immersion est mise en place : un sous-marin vers 100 m de profondeur, l’autre vers 200 m. Une telle séparation est immersion est bien évidemment impossible par des fonds inférieurs à 80 m.

 Confusion entre les types de zones d’exercice

Les auteurs font d’ailleurs une confusion entre 2 types de message différents, même s’ils se rapportent au même exercice : le Thursday War du 15 janvier. En effet, le programme de l’exercice ASWEX envoyé aux navires participants mentionne le Thursday War avec une zone plus large. Pour les auteurs, c’est la preuve qu’on nous cache quelque chose. Plus exactement, la zone mentionnée dans le message de l’OTAN couvre les zones d’exercice de tous les participants à l’exercice : aéronefs, navires de surface et sous-marins.

Au passage, précisons que ce type de message de routine n’a pas forcément été envoyé à la Marine. Seuls les navires participants en ont réellement besoin. Ce message n’est donc pas la preuve que la Marine Nationale savait qu’un exercice Thursday War avait lieu le 15 janvier. Et même dans cette hypothèse, ce message de routine n’était que l’un des milliers de messages de routine reçus et traités ce jour-là. Rien ne permettait de savoir qu’il contenait une information importante pour la justice quelques temps plus tard.

 Où était le Dolfjin ?

Il faut reconnaître que le commandant du Dolfjin n’est pas très constant dans ses déclarations. Les différentes versions correspondent à des positions différentes et donc à des distances différentes du lieu du naufrage. Les heures ne correspondent pas non plus.

Mais, admettons pour les besoins de la démonstration qu’il ait à 8 nautiques du Bugaled Breizh à 12:37 (heure indiquée sur sa carte) comme le pensent les auteurs.

Le Bugaled Breizh a coulé à 12:23. Cela fait que le Dofjin aurait dû atteindre la vitesse phénoménale de 34 noeuds. Surtout avec des batteries déjà entamées.

 Où était le Turbulent ?

C’est peut-être le seul élément véritablement nouveau dans toute cette enquête, le seul qui n’avait semble-t-il jamais été publié dans la presse : un message de l’OTAN semble mettre en doute l’endroit où se trouvait le Turbulent.

Selon la Royal Navy, le Turbulent a passé la journée à quai. Selon un message de l’OTAN présenté par les auteurs, il était prévu que le Turbulent soit en mer. Il faut donc reconnaître qu’il y a un doute sérieux sur la position du Turbulent.

Cependant, le message de l’OTAN prévoyant que le Turbulent soit en mer semble avoir été envoyé aux environs du 8 janvier, en préparation de l’exercice ASWEX 04, c’est à dire une semaine avant.

En une semaine, il peut se passer beaucoup de choses. En particulier, il est possible qu’une panne ait forcé le Turbulent à revenir à quai alors que cela n’était pas prévu. Il est très courant que des navires subissent ainsi des changements de programme suite à des pannes.

 Quelqu’un a-t-il entendu ou senti quelque chose ?

Contrairement à ce que semblent penser les auteurs, à bord d’un sous-marin, tout le monde ressent les chocs et les vibrations de la même manière. D’autre part, les opérateurs sonar auraient été les seuls à entendre et à identifier le bruit d’un navire en train de couler. Par conséquent, si le commandant et les officiers savaient qu’ils avaient heurté un navire, le reste de l’équipage le savait aussi.

Si, comme le pense le président de la caisse rochelaine des péris en mer, le choc n’a pas été énorme, il est donc tout à fait possible que personne à bord du sous-marin ne se rende compte de rien. Mais si les funes ont été entrainées, elles ont certainement glissé sur la coque avant de rester bloquées au niveau des barres de plongée. Cela signifie qu’il y a eu des grincements, des crissements que tout le monde à bord aurait pû entendre et comprendre.

Dans ce cas-là, comment expliquer que personne n’ait parlé, même sous anonymat ? On nous parle de sous-marin étranger, astreint au secret... Un tel secret n’aurait pas pu être gardé à bord d’un sous-marin occidental.

 Mais les opérateurs sonar ont-ils pu entendre quelque chose ?

Il faut rappeler que les fonds, là où le Bugaled Breizh a coulé, étaient de 80 m. Par petits fonds, le son se propage très mal dans l’eau. Surtout, comme à cet endroit, quand le fond est constitué de sable. Le son se propage beaucoup mieux par des fonds de rocher.

Selon le rapport de gendarmerie, 41 navires se trouvaient relativement proches du Bugaled Breizh pour qu’on les ait soupçonné au début de l’enquête de l’avoir heurté. Au total, ce sont près de 400 navires qui sont passé par là. Le bruit de ces navires a donc pu empêcher les sous-marins qui se trouvaient dans la zone d’entendre quoi que ce soit, même s’ils étaient relativement proches.

Donc, si depuis tout ce temps, personne n’a rien dit, même sous anonymat, c’est probablement qu’aucun sous-marin n’est impliqué et que personne n’a rien entendu.

Lire la deuxième partie.

Notes :

[1Une mesure rapide sur Google Earth indique au minimum 70 nautiques, soit près de 130 km !

[2Il suffit de regarder les efforts faits par les Américains pour s’entraîner avec un sous-marin Suédois. Efforts vains puisque c’est toujours le sous-marin Suédois qui gagne !