Bugaled Breizh : une enquête par 2 journalistes (2ème partie)

  • Dernière mise à jour le 19 juillet 2009.

Abordons maintenant un point qui semble avoir interpelé les auteurs puisqu’ils lui consacre tout un chapitre : la désormais fameuse panne de l’enregistreur vocal du CROSS Gris-Nez.

Revenir à la première partie.

 L’enregistreur vocal du CROSS

Quelles qu’aient été les causes de cette panne (réelle ou provoquée), il faut relativiser l’importance des conversations que cet enregistreur aurait pu conserver.

Comme le souligne le rapport qui a été publié à la suite cet incident, le CROSS n’est intervenu dans cette affaire que pour identifier le porteur de la balise. Cette phase est intervenue avant la panne de l’enregistreur.

Au passage, on peut regretter que des conversations qui n’apportent rien au débat soient reproduites dans le seul objectif de faire douter le lecteur du professionnalisme des personnels de permanence dans les CROSS. Tous les marins (pêche, plaisance ou commerce) qui ont pû être sauvés grâce à leur veille permanente et scrupuleuse, apprécieront.

Les auteurs émettent l’hypothèse que l’enregistreur aurait été volontairement coupé pour éviter qu’il n’enregistre des conversations compromettantes.

Me Bergot insiste en disant qu’il n’“encaisse pas ... cette panne”. Lui aussi émet l’hypothèse qu’on aurait voulu cacher une conversation compromettante.

Cette hypothèse démontre une ignorance regrettable du mode de fonctionnement des CROSS. Même si une partie du personnel est militaire, il s’agit d’un organisme civil qui dépend du ministère des transports.

Comme le CROSS Gris-Nez n’est pas directement impliqué dans les opérations de sauvetage, on voit mal quelle conversation mentionnant la présence d’un sous-marin sur les lieux aurait pu lui parvenir et de qui.

Le MRCC anglais ignorait la présence d’un sous-marin (sinon cela apparaitrait dans les bandes transmises à la justice).

Seul l’état-major anglais des forces sous-marines peut savoir si un sous-marin se trouvait sur zone. Je les imagine mal téléphoner au CROSS pour leur donner cette information.

Du coté français, personne ne connaissait la présence d’un sous-marin dans cette zone puisque le message ZONEX ne la mentionne pas. Et la distance entre le Bugaled-Breizh et la zone affectée la plus proche est telle qu’aucune erreur n’est possible.

Quoi qu’il ait pû se passer ce jour-là au CROSS, cela n’a aucune importance dans cette enquête.

 Discréditer les militaires

Tout au long de leur livre, les 2 auteurs insistent lourdement sur un fait : les méchants militaires sont partout et ils veulent cacher la vérité aux 2 gentils journalistes. Dès qu’ils veulent discréditer un témoin, ils précisent que c’est un militaire. Une expertise est remise en cause : elle a été réalisée par un militaire. Un témoin ne confirme pas les théories des auteurs : c’est un militaire. Et c’est aussi bien valable pour la Marine Nationale que pour la Royal Navy.

L’objectif est clair : il s’agit de mettre en accusation la Royal Navy, la Marine Nationale et plus généralement toutes les marines de l’OTAN. Il s’agit de montrer que seuls les 2 journalistes disent la vérité. Quoi que puisse dire un militaire, c’est forcément faux !

A un seul moment, des militaires ne sont pas présentés comme tels. Il s’agit de nous expliquer que des sous-marins participent parfois à des actions d’espionnage. Les 2 auteurs nous présentent donc le témoignage anonyme d’un sous-marinier. Son sous-marin est resté pendant quelques jours dans un port européen à écouter les bateaux qui passent.

 Fantasme, réalité ou exagération ?

Quoi que possible, cela parait peu probable. Même en plongée, la présence d’un sous-marin dans un port serait détectée : vu la hauteur de son kiosque, il risquerait à tout moment qu’un navire entre en collision avec lui. La plupart des ports obligent les gros navires à prendre un pilote pour entrer et sortir. Comment le sous-marin qui devait bien évidemment rester en plongée, aurait-il pû entrer sans se faire repérer et sans heurter les quais ou les cotés du chenal d’accès ?

En revanche, des missions d’écoute à proximité des grands ports militaires étrangers sont très certainement effectuées par toutes les marines disposant de sous-marins. L’objectif est effectivement d’enregistrer le bruit émis par les navires militaires d’une puissance étrangère soit dans un but militaire (l’identifier si on le croise en mer) ou dans un but d’espionnage industriel (identifier par le bruit certaines de ses caractéristiques). Et écouter un navire alors qu’il quitte le port permet de s’assurer de son identité par d’autres moyens.

 La Jonque

Pour mettre un peu plus les militaires en accusation, il faut montrer qu’il y a eu des précédents. Les auteurs vont donc rappeler le naufrage de la Jonque.

Dans leur récit des événements, les auteurs oublient de raconter la suite de l’histoire. Le chalutier a été retrouvé, tous les canots de sauvetage encore à poste. Le chalut était pris dans des rochers.

J’ai discuté avec un des membres de l’équipage du chasseur de mines qui a retrouvé le chalutier. Avant d’envoyer la bande par hélicoptère, le commandant l’a visionnée avec tout l’équipage, il n’a rien caché.

Toute cette histoire n’est donc qu’un fantasme.

 Les 2 radeaux de sauvetage

Les 2 auteurs tentent de nous faire croire que la présence sur les lieux du naufrage de 2 radeaux de sauvetage, dont l’un ressemble à ceux largués par les hélicoptères de la RAF, a une quelconque importance. Ils tentent de nous faire croire que c’est le signe qu’un sous-marin se trouvait sous le Bugaled Breizh.

Le patron de l’Eridan dit avoir vu un hélicoptère noir alors qu’il se dirigeait vers le lieu du sinistre. Dans l’émission "Pièces à conviction", un des témoins parle d’un autre hélicoptère avec une grosse boule. Ces grosses boules, situées sur le côté ou sous l’hélicoptère, sont des radars de veille aérienne, pas des sonars destinés à chasser le sous-marin. La réponse du ministère anglais de la défense indique d’ailleurs que des hélicoptères de la base RNAS Culdrose ont effectués des exercices toute la journée.

L’un de ces hélicoptères a donc pu larguer un radeau de sauvetage au-dessus du lieu du naufrage. Ou bien, autre hypothèse, l’un de ces hélicoptères s’entraînait justement au largage de radeau sur un naufrage. Comment savoir ?

Une chose est sûre : la présence de ces hélicoptères signifie-t-elle pour autant qu’un sous-marin se trouvait forcément dans la zone ? Non.

 Le Dolfjin aurait récupéré 2 personnes

Dans les enregistrements des gardes-côtes, il y a un appel du CTF 311. Il se produit vers la fin des recherches, alors que la nuit va tomber. Le CTF 311 demande confirmation du fait que le Dolfjin avait récupéré 2 personnes.

Pour les auteurs, il pourrait s’agir des corps des 2 disparus.

Cet appel est toutefois curieux. Le CTF 311 et le QG des sous-marins à Northwood ont des moyens de communiquer directement avec le Dolfjin. Pourquoi appeler les gardes-côtes alors que l’un et l’autre pourraient obtenir confirmation de cette information directement en appelant le Dolfjin ?

D’autre part, comme l’indiquent les auteurs, à ce moment des recherches, de nombreux bateaux se trouvent sur place à peu de distance les uns des autres. L’Eridan aurait même essayé de s’en approcher. Dans ces circonstances, comment le Dolfjin aurait-il pu récupérer 2 personnes sans qu’aucun des bateaux qui l’entourent ne s’en aperçoivent ?

 Les questions posées par le député anglais

Les auteurs ont dénoncé avec force et à de nombreuses reprises dans leur livre les erreurs commises par les experts et par les gendarmes en transcrivant des bandes ou en recopiant des documents.

Et pourtant, eux mêmes vont commettre la même erreur en reproduisant l’échange de questions et de réponses entre le député Andrew George et le ministère de la défense. Les questions et les réponses sont adaptées (seule une partie de la 1ère question est reproduite en étant modifiée, la réponse indiquée ne correspondant à la partie reproduite de la question), mal traduites (sailed traduit par “naviguer” au lieu d’“appareiller”), tronquées (la partie importante sur les avertissements d’exercices sous-marins n’est pas reproduite) [1].

 La théorie des auteurs

Pour terminer leur livre, les 2 auteurs nous proposent leur théorie. Ils prennent bien soin de préciser qu’il s’agit d’une fiction. Mais ils nuancent aussitôt en disant que c’est pour eux le plus vraisemblable.

Outre les points déjà vus auparavant (le Turbulent à quai, la vitesse du Dolfjin qui ne lui permettait pas d’être sur les lieux, ...), je voudrai démontrer ici l’impossibilité physique du scénario écrit par les auteurs.

Pour eux, 2 sous-marins naviguent à grande vitesse par petit fond et à faible distance l’un de l’autre.

Les sous-marins, en plongée, sont aveugles. La localisation de ce qui se trouve autour d’eux, même avec des sonars perfectionnés, est aléatoire et difficile. Par conséquent, pour éviter toute collision entre 2 sous-marins, des zones d’exercice sont définies à chacun. Il ne peut y avoir qu’un seul sous-marin par zone d’exercice (qui mesure plusieurs dizaines de kilomètres carrée). Ce type de schéma fonctionne parfaitement lorsqu’un navire de surface et un sous-marin sont opposés.

En revanche, lorsque 2 sous-marins sont opposés l’un à l’autre, la portée de détection de leurs sonars respectifs (au plus quelques kilomètres) imposent de leur attribuer la même zone. Afin d’éviter toute collision dans ce cas de figure, on attribue à un sous-marin une tranche d’immersion et une autre tranche au second sous-marin. Une zone neutre sépare les 2 tranches (en général, 50 m). Des zones spécifiques permettent au sous-marin situé en dessous de remonter en surface.

Bien évidemment, ce type d’exercice ne peut être organisé que par grand fond.

Si le sous-marin n’est pas parfaitement horizontal (assiette), il y a une différence d’immersion entre l’avant et l’arrière. Pour un angle de 1°, presque imperceptible pour n’importe qui, la différence atteint déjà 3 m pour un sous-marin comme le Turbulent. C’est pourquoi, pour éviter d’entrer en collision avec le fond, tout sous-marin doit conserver une distance de sécurité vis-à-vis du fond.

Je crois savoir que les sous-marins nucléaires Américains ne plongent pas si le fond est inférieur à 300 pieds (100 mètres).

Pour échapper à son poursuivant, le Dolfjin tente de se cacher sous le Bugaled Breizh. Cette technique est certes connue. Mais aucun commandant de sous-marin n’aurait l’idée suicidaire d’aller se cacher sous un chalutier, à quelques mètres de son train de pêche qui pourrait se prendre dans ses hélices. Cette technique est principalement utilisée avec des cargos. Toutefois, on a pu voir au début de cette semaine qu’un cargo n’est pas la meilleure chose que les sous-marins peuvent avoir au-dessus d’eux.

Un sous-marin classique avançant aux électriques (en plongée) fait très peu de bruit. Il est quasiment indétectable. Les exercices actuellement en cours dans la région de San Diego entre un sous-marin classique Suédois et l’US Navy le montrent : à chaque fois, le classique l’emporte quel que soit l’opposant.

Les auteurs imaginent donc que le Turbulent utilise son sonar actif pour détecter le Dolfjin. Malheureusement pour eux, le faible fond fait rebondir le son dans toutes les directions et toute détection devient impossible. Cela, les auteurs le mentionnent. Mais uniquement lorsque le Dolfjin doit repérer la direction du Turbulent. Quand le Turbulent doit repérer le Dolfjin, le sonar actif par petits fonds est une “technique imparable”.

Avancer à grande vitesse réduit fortement le temps de réaction nécessaire pour intervenir en cas d’obstacle ou de prise d’assiette (le sous-marin n’est plus horizontal). Par conséquent, les limites de sécurité à conserver vis-à-vis du fond augmentent avec la vitesse.

 Conclusion

L’enquête menée par Laurent Richard et Sébastien Turay n’apporte que peu d’éléments nouveaux. Ceux-ci soulèvent parfois des questions, des doutes. Malheureusement, le reste du livre démontre que l’enquête a été réalisée avec un a-piori dont les auteurs n’arrivent pas à se libérer. Il est même truffé d’erreurs, d’approximations...

Ce n’est pas une enquête indépendante, c’est un procès à charge. Il s’agit de démontrer qu’un sous-marin a coulé le Bugaled-Breizh.

Ce qui est dommage ici, c’est que la victime est la vérité. Mais, ça...

Notes :

[1Les erreurs de traduction ou de transcription ne se cantonnent pas à ces exemples. Le reste du livre est aussi touché.
 Les hélicoptères de la base RNAS Culdrose ne volent pas jusqu’à 17:15 comme indiqué par les auteurs mais jusqu’à 17:00.
 Le code à 4 lettres du Torbay donné par les auteurs est TRBY à un endroit et TORB seulement quelques lignes plus loin.
 Dans tout le livre, le nom du sous-marin néerlandais donné par les auteurs est Dolfijn alors qu’il s’écrit Dolfjin.

Et il y en a probablement d’autres.