Un bâtiment argentin à propulsion nucléaire, mais lequel ?

  • Dernière mise à jour le 4 juin 2010.

Dans une décision politique de portée internationale, le gouvernement argentin a annoncé qu’il équipera des bâtiments de guerre de la propulsion nucléaire.

Comme l’avait annoncé en septembre dernier le président brésilien, Lula da Silva, le gouvernement argentin a promis de lancer la construction d’un sous-marin nucléaire. Ce type de propulsion, qui présente de nombreux avantages sur le plan militaire, pourrait aussi être conçu pour des bâtiments de surface. C’est ce qu’a annoncé la ministre de la défense, Nilda Garré, au cours d’une rencontre avec des journalistes.

"La propulsion nucléaire d’une de nos unités commencera à changer le cadre énergétique", a expliqué la ministre. Elle a ajouté que l’objectif est que le projet soit bien avancé lorsque se terminera le mandat de la présidente Cristina Kirchner (décembre 2011).

Le gouvernement argentin a précisé qu’il ne s’agissait pas de construire des armes de destruction massive, interdites sur le continent sud-américain par le traité de non-prolifération nucléaire. Le projet, qui est déjà bien avancé, concerne uniquement les systèmes de propulsion. Pour cela, l’Argentine utilisera le développement d’un réacteur conçu par la compagnie Invap et qui pourrait être en service en 2013. L’installation de ce réacteur à bord d’un bâtiment demanderait 2 années de plus. Le Brésil estime que son prototype de sous-marin nucléaire naviguera en 2020. L’Argentine aspire à l’avoir avant.

"Nous voulons récupérer les capacités dont disposait le pays, dans les secteurs scientifique, technique et industriel. L’Argentine ne peut pas rester à l’écart de cette technologie", a affirmé la ministre Garré.

Pendant son dialogue avec la presse, la ministre passait en revue les projets qui ont avancé depuis sa nomination, lorsqu’elle a surpris tout le monde en faisant référence à l’objectif de la propulsion nucléaire. Elle a rappelé la vieille aspiration de la marine argentine de disposer de sous-marins nucléaires. Garré a indiqué que cette possibilité était aujourd’hui plus proche.

Elle n’a cependant pas donné de détails précis. La Nación a néanmoins pu apprendre que le projet a été accepté par la Casa Rosada (la présidence de la République argentine) et le premier ministre. Ainsi, la ministre Garré a rendu public un travail qui est déjà en marche. La pierre angulaire est le réacteur Carem développé par la compagnie Invap, qui utilise comme combustible de l’uranium enrichi.

La proposition d’Invap est de réaliser ce prototype pour sa vente à l’étranger, pour produire de l’électricité. Il est clair que son développement a eu beaucoup à voir avec le rêve de la marine d’avoir un sous-marin nucléaire. Le Carem a été développé à partir de l’idée des techniciens navals pour ajouter un réacteur ayant ces caractéristiques à bord des sous-marins achetés à l’Allemagne dans les années 70.

Un des scientifiques liés à la marine qui a travaillé de façon approfondie sur ce projet, est également impliqué aujourd’hui dans la conception de l’Invap. Des sources navales ont confirmé mercredi que la marine argentine travaillait bien sur le projet annoncé par la ministre Garré.

Pour la ministre, il s’agirait d’un saut technologique d’importance vitale. Seules les puissances nucléaires disposent de bâtiments à propulsion nucléaire. Le Brésil est sur le point de s’ajouter à ce groupe, au moins avec l’utilisation de systèmes de propulsion à base d’uranium enrichi. L’an passé, c’est l’Inde qui s’est ajoutée au groupe des pays possesseurs de sous-marins nucléaires : Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne et France.

Bien qu’il ne dispose que d’un armement classique de torpilles, un sous-marin nucléaire a comme avantage fondamental de pouvoir rester plusieurs jours en plongée. Cela le rend, en pratique, indétectable. Les sous-marins classiques doivent recharger chaque jour leurs batteries au cours de navigation en surface, situation qui les rend vulnérables.

Le réacteur utilisé par les bâtiments argentins sera le Carem. Quelles sont les possibilités réelles d’installer ce système sur un bâtiment argentin ? Le vieux projet de la marine aurait une solution sous la main. Il était destiné pour les sous-marins TR1700, dont la construction a été interrompue il y a plus de 20 ans. Ce type de sous-marin et le "Carem naval" ont été conçus pour être compatibles.

Aujourd’hui, un vieux sous-marin (le Salta)est opérationnel. Un autre est en grand carénage (le San Juan). Mais un ensemble neuf de pièces pour la construction d’un 3è TR1700 se trouve aux chantiers Tandanor - Domec García, en attente d’assemblage.

La présidente Cristina Kirchner a reçu il y a 2 mois, une proposition de ce chantier naval pour assembler ce sous-marin pour un montant de 50 millions $. Le ministère argentin de la défense a demandé un budget pour étudier la possibilité de ce montage. Ce serait la plateforme choisie pour tester la propulsion nucléaire [1].

Le Brésil a donné la première impulsion. Dans son plan de modernisation des armées, Lula s’est décidé pour une alliance stratégique avec la France, qui lui permettra de disposer de son propre sous-marin nucléaire. L’annonce faite par le président brésilien a eu comme première répercution l’inquiétude de l’Argentine.

 Contacts avec le Brésil

Plusieurs ministres brésiliens ont fait le voyage de Buenos Aires pour expliquer l’étendue du projet et les intentions du Brésil de jouer sur le terrain des pays puissants. L’opinion de ses dirigeants est qu’ils devaient disposer d’armement d’avant-garde pour "pouvoir dire non" : tel fur le message transmis aux autorités argentines.

Après ce rejet initial, le gouvernement argentin a cherché à se rapprocher du projet brésilien pour négocier une participation. En 2008, il y eut des conversations entre les ministères de la défense des 2 pays, bien que finalement, ils aient choisi de suivre des chemins indépendants. Dans les années 70, l’Argentine et le Brésil avaient commencé une forte compétition pour parvenir au développement d’un sous-marin nucléaire. Les projets développés par les dictatures au pouvoir à cette époque dans les 2 pays, étaient ensuite restés dans les tiroirs jusqu’à ce que Lula relance l’idée. Et que l’Argentine regarde à nouveau ses propres dossiers.

"Nous avons toujours été plus avancés que le Brésil sur le chemin de la technologie nucléaire. Avec cette décision politique, nous avons la capacité de construire ce sous-marin ou un bâtiment de surface avec ce type de propulsion", a déclaré une importante source navale.

 Dates clé

 2013 : Mise en service du réacteur

La compagnie Invap terminera à cette date le réacteur nucléaire Carem, conçu à partir d’une idée de moteur naval.
 2015 : Essais à bord d’un navire

Le réacteur pourrait être installé à bord d’un bâtiment, peut-être un sous-marin TR1700.

Notes :

[1D’autres journaux évoquent la modification du brise-glaces Almirante Irízar.

Source : La Nación (Argentine)