Le rapport sur l’accident du Minneapolis-St. Paul

  • Dernière mise à jour le 16 avril 2007.

Abruptement et semblant venir de nulle part, une puissante vague s’écrase sur le pont arrière du sous-marin d’attaque Minneapolis-St. Paul. Il était 12:26 (heure Zulu) ce 29 décembre. Il pleuvait et le temps était pluvieux. Le sous-marin sortait du port de Plymouth, Angleterre.

Le Minneapolis-St. Paul
L’équipage du sous-marin d’attaque Minneapolis-St. Paul a fait face à une météo déplorable à leur sortie du port de Plymouth, le 29 décembre, comme le montre cette photo officielle accompagnant le rapport d’enquête.

Un pilote de port local Britannique, un marin civil expérimenté qui avait guidé plus de 2.000 navires à l’entrée et à la sortie de Plymouth — y compris des sous-marins Américains — se trouvait à l’intérieur du sas de sauvetage, juste à l’arrière du kiosque, attendant de débarquer du sous-marin vers la pilotine. 3 membres d’équipage du Minneapolis-St. Paul se tenaient à l’extérieur, revêtus d’une combinaison mauvais-temps et reliés par de longues lignes de vie à un rail de sécurité.

Une mauvaise mer est normal en hiver à Plymouth, ont déclaré les marins locaux à l’équipage Américain. Les sous-mariniers s’attendaient à une mer traîtresse pour la route vers leur point de plongée plus au large. Mais ils ne pensaient pas voir une mauvaise mer si tôt dans le transit, et à l’intérieur de la jetée.

Alors que le pilote se préparait à monter rapidement sur le pont, la première violente vague s’est écrasée sur le sous-marin, refermant le lourd panneau supérieur du sas sur lui. La force de l’océan lui a fait mordre sa lèvre supérieure et il a coulé dans l’eau de mer qui avait rempli le sas. Il a de nouveau ouvert le panneau et regardé à l’extérieur.

Immédiatement, une seconde vague a frappé, venant cette fois de l’avant, puis recouvrant toute la longueur du sous-marin.

Les 3 marins Américains qui se trouvaient quelques secondes auparavant sur le pont pour l’aider à débarquer, avaient disparu — plongés dans une eau glacée à 11°.

Consulter le rapport de l’enquête de commandement effectuée par l’US Navy

La vidéo qui accompagne le rapport

“Tout semblait clair et normal pendant qu’on attendait la pilotine,” se souvient le technicen sonar de 1è classe James Sowa, un des 3 marins qui se trouvaient sur le pont. “Nous avons pris quelques petites vagues sur le pont, peut-être jusqu’à la hauteur des chevilles. Après cela, nous avons reçu une vague jusqu’à la hauteur de la poitrine ou plus haut, qui nous a jeté tous les 3 par dessus bord.”

Désormais, Sowa, le maître principal électronicien Thomas Higgins — le patron du pont — et le technicien sonar de 2è classe Michael Holtz luttaient pour leur vie dans une Manche déchaînée.

Le pilote n’a rien pû faire pour aider les 3 marins.

“Ils se trouvaient ... quelques mètres sous moi et la [coque] n’avait rien qui permettait à ces hommes de s’accrocher ou de remonter par eux-mêmes,” a-t-il déclaré ensuite dans une déclaration officielle, dont le Navy Times s’est procuré une copie. “J’ai crié très fort, ‘un homme à la mer.’ ”

Une course folle a rapidement suivi.

Le pilote a redescendu l’échelle du sas de sauvetage. Dessous, c’était le “chaos” alors que d’autres marins se préparaient à monter pour aider et secourir leurs camarades.

Vague après vague, elles continuaient à frapper le sous-marin. Une cascade d’eau coulait par le sas à un rythme alarmant.

“Il y avait près de 45 cm d’eau de mer qui allait d’un bord à l’autre,” a déclaré le pilote, “et une partie de l’éclairage fluorescent a clignoté puis s’est éteint.”

 La course pour secourir

Au sommet du kiosque, l’équipe de quart passerelle donnait des ordres, manoeuvrant le sous-marin pour créer un côté à l’abri du vent pour les 3 marins tout en essayant de ne pas s’échouer sur la jetée proche.

Après avoir d’abord ralenti le sous-marin à 1,6 noeuds lorsque les marins sont tombés à la mer, l’équipe de quart a ensuite dû accélérer à plus de 7 noeuds pour rendre le sous-marin manoeuvrant, selon le rapport. Malgré les procédures standard qui prévoient des vitesses inférieures à 4,5 noeuds en cas d’homme à la mer, l’augmentation de la vitesse était nécessaire, ont expliqué plus tard les officiers supérieurs, pour atteindre des eaux plus calmes et s’assurer que le sous-marin ne s’échoue pas.

Le Cmdr. Edwin Ruff, le commandant du sous-marin, depuis 23 ans dans la Navy, se trouvait au sommet du kiosque. Malgré la météo qui se dégradait, Ruff avait réussi à parler avec Higgins sans radio en l’appelant depuis là-haut. Quelques minutes seulement auparavant, tous les 2 avaient demandé à la pilotine de s’approcher du sous-marin pour un transfert précipité. Ruff était énervé par la lenteur du transfert et a ordonné au patron du pont d’aller plus vite.

Puis, a-t-il déclaré, une vague s’est écrasée sur le pont sur bâbord avant.

“Au moment ou juste avant que les hommes soient jetés à la mer, le Minneapolis-St. Paul pourrait avoir tangué. Je crois que quelqu’un a hurlé ‘Une vague.’ Je crois que j’ai hurlé ‘Descendez !’ ” a déclaré Ruff aux enquêteurs.

“Je ne crois que les hommes sur le pont m’aient entendu, ou s’ils l’ont pû, qu’ils aient pû réagir et descendre à temps,” a-t-il indiqué.

Quand il a vu ses hommes projetés à la mer, le vent hurlait et tout le monde devait hurler pour se faire entendre. Sur la VHF, Ruff a dit à la pilotine, “Approchez-vous et récupérez nos gars.”

L’eau qui déferlait a commencé à emporter Higgins, Holtz et Sowa dans tous les sens à travers le pont du sous-marin, d’un bord à l’autre du submersible. Tout cela alors qu’ils restaient attachés au rail de sécurité, incapables de se libérer pour être récupérés par les bateaux de secours.

Le premier des 2 marins qui était monté sur le pont pour essayer de secourir ses camarades a été, ont déclaré les témoins, projeté contre la coque.

Mais avant qu’il ait pû crocher sa ligne de vie dans le rail de sécurité, il a été projeté par dessus le bord. Sans ligne de vie, il a été rapidement récupéré par les bateaux de secours Britanniques.

Pendant ce temps, Higgins, Holtz et Sowa ont réussi, au début, à rester ensemble en saisissant un crochet. Il ne devait pas résister très longtemps.

“Le crochet s’est rompu et, après l’avoir jeté, les 3 hommes sont restés ensemble en tenant la ligne de vie de l’autre,” écrit le rapport.

Bientôt, une vague a ramené les 3 hommes sur le pont. Le commandant l’a vu depuis le sommet du kiosque.

“A ce moment-là, le patron du pont ne semble pas bouger. Holtz bougeait mais est resté sur le dos,” a indiqué Ruff. “Sowa pouvait se déplacer, il est allé voir le patron du pont, puis est revenu en rampant vers le sas de sauvetage avant.”

Un jeune matelot attendait là. Il a attrapé Sowa, l’a libéré en coupant sa lanière puis ils ont descendu rapidement l’échelle vers les ponts inondés.

Désormais à bord du sous-marin, Sowa “ne pouvait marcher ou parler,” a indiqué l’infirmier du navire.

Le plongeur du sous-marin est alors monté pour essayer de récupérer Holtz et Higgins, mais lui aussi “a été projeté presqu’immédiatement par dessus le bord.” Heureusement, comme il n’avait pas de ligne de vie, il a été récupéré par un bateau de secours.

Pendant ce temps, Holtz et Higgins avaient été soulevés puis jetés contre le sous-marin par les vagues, ont déclaré les témoins. Les 2 se tenaient l’un l’autre jusqu’à ce qu’une forte vague les sépare, ramenant momentannément Holtz sur le pont.

“Holtz a essayé de se lever et a été jeté par-dessus le bord par une vague venant de bâbord. Les vagues les battaient contre le côté tribord et tous les 2 se retrouvaient souvent sous l’eau,” a déclaré un témoin, un électricien. “Le patron du pont et Holtz semblaient inconscients après l’une des plus grosses vagues, mais Holtz a commencé de nouveau à bouger après quelques secondes. A partir de ce moment, le patron du pont n’a plus bougé, mais il était mou et ne bougeait qu’à cause de l’eau.”

Pendant ce temps, depuis le bateau de secours, a déclaré un témoin, le plongeur a crié des encouragements à Holtz, lui disant de continuer à se battre et de montrer qu’il était vivant en mettant ses mains sur la tête. Plusieurs fois, Holtz a craché de l’eau et mis ses mains sur la têtes.

 Fermer le panneau du sas

Pendant ce temps, le Minneapolis-St. Paul s’approchait dangereusement de la jetée, et les mouvements du sous-marin étaient compliqués par les bancs de sable et un gros navire mouillé à proximité. Ruff et son équipage étaient toujours en train de manoeuvrer pour créer une zone de calme pour les hommes dans l’eau, mais sans succès.

“J’étais persuadé de pouvoir conduire le sous-marin, mais à ce moment-là, j’étais énervé,” a déclaré Ruff. “Je pensais que les hommes attachés au sous-marin étaient très gravement blessés, et que le patron du pont était peut-être déjà mort.”

Les bateaux de secours Britanniques ne pouvaient pas s’approcher suffisament pour libérer Higgins et Holtz. Dans les ponts inférieurs, plus de 1,80 m d’eau avait coulé dans la cale des auxillaires. Ruff a pris une difficile décision de commandement.

“J’étais inquiet d’échouer le sous-marin, donc nous avons décidé de le faire tourner. A ce moment, mes priorités ont changé : de sauver les hommes, c’est devenu sauver le navire,” a indiqué Ruff dans sa déclaration. “Nous avons pris la décision de refermer le panneau du sas.”

Peu après que le panneau ait été refermé, le témoin électricien a indiqué, “Holtz a été projeté sur le pont environ 3 fois, et le patron du pont une fois.”

Alors qu’il allait de babord à tribord, ont indiqué des témoins, Holtz “a heurté un taquet très fort” sur le coté droit de sa poitrine. Il ne pouvait plus mettre qu’un seul bras au-dessus de sa tête. Il a de nouveau été projeté sur un taquet, cette fois avec son coté gauche. Cela a continué encore et encore jusqu’à ce que Holtz ne bouge finalement plus.

Au sommet du kiosque, Ruff avait décidé d’augmenter la vitesse.

“Afin de contrôler le sous-marin, nous avons utilisé une vitesse suffisante pour que le gouvernail ‘morde.’ Je pouvais voir que le patron du pont et Holtz étaient dans un sale état à ce moment-là ... donc une vitesse plus importante nous mettrait plus rapidement dans des eaux plus calmes et l’aide serait plus rapide,” a-t-il indiqué. “Alors que nous effectuions le virage, je pouvais voir que le patron du pont et Holtz étaient trainés par le sous-marin, bien que leur tête soit au-dessus de l’eau. A un certain point du virage, la ligne de vie du patron du pont s’est rompue et il s’est écarté du sous-marin, à la dérive.”

Moins d’une heure plus tard, le décès de Higgins, 45 ans, et Holtz, 30 ans, sera constaté à leur arrivée dans un hôpital proche. Selon le rapport, Higgins est mort d’un traumatisme avec un objet contondant et s’est noyé. Holtz s’est noyé.

Dans le rapport, il y a des comptes-rendus contradictoires quant à savoir si Higgins et Holtz portaient des couteaux qui leur auraient permis de couper leur ligne de vie et de s’écarter du sous-marin pour être rapidement secourus, comme les autres. Dans leurs commentaires ultérieurs, l’équipage a recommandé d’utiliser des boucles à largage rapide sur le harnais, ou, comme l’a dit un maître principal, “nous devrions nous débarasser complètement des lignes de vie.”

 Les lignes de vie responsables

Pour Ruff et les autres officiers, l’accident a 2 causes : “Les hommes sont morts parce qu’ils étaient harnachés au sous-marin et parce que quelque chose est arrivé à l’état de la mer que nous n’avons pas reconnu ou anticipé.”

Le résumé exécutif du rapport est encore plus précis :

“Si le personnel n’avait pas été attaché au pont, tout décès, toute blessure ou tout dégât important au matériel aurait été improbable. Si le personnel n’avait pas été attaché au pont, les bateaux d’escorte proches auraient rapidement récupéré le personnel et le sas de sauvetage aurait été rapidement refermé après qu’ils soient tombés à la mer.”

Le rapport cite aussi un manque d’entraînement de l’équipage dans la gestion des risques et à l’application des procédures lorsqu’un homme attaché tombe à la mer.

Dans les conclusions des enquêteurs, la faute est mise sur la hiérarchie pour ne pas avoir correctement analysé les informations disponibles sur les conditions de mer. Le pilote du port est aussi accusé par les enquêteurs d’avoir donné à l’équipage “de mauvais conseils” et de ne pas avoir partagé les données sur “l’état potantiellement dangereux de la mer au-delà de la jetée.”

On a appris plus tard que les navires de commerce avaient interdiction de quitter Plymouth ce jour-là à cause du mauvais temps.

“Si j’avais su que les navires Britanniques n’étaient pas autorisés à partir, ou que la mer devait être forte à l’intérieur de la jetée,” a écrit Ruff, “nous n’aurions pas tenté le transfert du pilote où nous l’avons fait et peut-être que nous serions pas partis du tout.”

Bien qu’il ait laissé 4 hommes à Portsmouth — Higgins, Holtz et 2 marins qui ont essayé de les sauver mais qui ont été eux-même secourus — le sous-marin a dû continuer un transit de 14 heures dans une mer très forte vers son point de plongée dans la Manche. Il ne pouvait retourner à Plymouth à cause du changement des conditions de marée. L’enquête et ensuite les actions disciplinaires ont eu lieu plusieurs jours plus tard à Rota (Espagne).

Ruff a été relevé de son commandement le 19 janvier par le commandant de la force sous-marine, le vice-amiral Charles Munns.

Le commandant en second a reçu une lettre punitive de réprimande au cours d’une audience non-judiciaire.

Les charges contre 2 officiers subalternes et un maître principal ont été abandonnées.

Le 11 janvier, toute la force sous-marine a commencé une revue de sécurité d’une semaine pour réétudier les bases maritimes et évaluer la gestion des risques.

Les résultats de cette revue et les leçons qui en ont été tirées n’ont pas été rendus publics. Mais les officiers ayant participé à l’enquête sur le Minneapolis-St. Paul ont recommandé des modifications à la réglementation sur “les manoeuvres sur le pont, les équipements et la sécurité du personnel,” les procédures homme à la mer, les listes de préparation au pilotage, l’entraînement aux manoeuvres sur le pont et les qualifications. Ils ont aussi recommandé un “système accessible pour faciliter le partage des leçons torées” et l’échange des informations résultantes avec les autorités Britanniques appropriées.

Le Minneapolis-St. Paul est revenu à Norfolk le 3 avril, après un déploiement de 6 mois. Chaque marin débarquant du sous-marin a été accueilli par Tina Higgins, l’épouse du patron du pont disparu, Thomas Higgins. Elle leur a remis une pièce commémorative en son nom.

L’équipage portait aussi des brassards à l’épaule de leur uniforme bleu. Brodé aux noms de Higgins et Holtz, les brassards portaient aussi “Rest Your Oars Shipmates.”

Source : Navy Times (USA)