L’US Navy construit-elle le plus grand porte-hélicoptères au monde ?

  • Dernière mise à jour le 30 juillet 2009.

Depuis le début de l’année, les commissions du Sénat et de la Chambre des Représentants, spécialisées dans le domaine naval, ainsi que la presse spécialisée, ne semblent s’intéresser qu’à un seul sujet : le porte-avions USS Gerald Ford, et plus précisément à son système novateur de lancement et de récupérations des avions : l’EMALS.

Ce qui intéresse, voire inquiète, les parlementaires, c’est d’abord et avant tout le fait que cette technologie soit développée alors même que la construction du porte-avions a déjà commencé. Tout retard, ou tout problème, dans le développement de cette nouvelle technologie aura un impact forcément négatif sur la date de mise en service du porte-avions.

Mais qu’est-ce que c’est que l’EMALS ?

L’EMALS, c’est l’ElectroMAgnetic Launch System, ou système de lancement életrco-magnétique. Il s’agit d’un système destiné à remplacer le système de catapulte à vapeur actuellement utilisé sur les porte-avions.

Si la technologie à vapeur est très efficace puisqu’elle permet de faire décoller des chasseurs de plusieurs dizaines de tonnes en seulement quelques dizaines de mètres, elle nécessite une maintenance très couteuse, est très stressante pour la coque et la structure du porte-avions (les coups de boutoir lors de chaque lancement), et elle n’est pas vraiment compatible avec les systèmes modernes de propulsion non-nucléaire, généralement utilisant des turbines à gaz.

Le système EMALS est destiné à dépasser les limitations de la technologie vapeur, conduisant à des économies significatives dans le domaine de la maintenance. Le système est aussi sensé être plus résistant aux avaries de combat et d’une efficacité améliorée.

Depuis le début de l’année, des articles de presse et des parlementaires américains ont commencé à faire état d’une inquiétude sur le fonctionnement du système. En mars 2008, un parlementaire américain s’inquiétait déjà du risque que présentait le programme. En février 2009, le chantier Newport News, chargé du développement du porte-avions, annonçait que le système EMALS est un échec.

Mais ce qui inquiète et agite actuellement les parlementaires et la presse spécialisée, ce ne sont pas tant ces inquiétudes, qui ne sont désormais plus nouvelles, c’est l’impossibilité d’obtenir de l’US Navy une autre réponse sur l’avenir que : le système va fonctionner.

Dès février dernier, Gene Taylor, président de la sous-commission de la puissance maritime et des forces expéditionnaires, demandait au secrétaire à la Navy comment il voyait l’avenir du porte-avions, s’inquiétant qu’il puisse devenir “le plus grand porte-hélicoptères au monde”.

Ainsi, il y a quelques jours, c’est à une séance surréaliste à laquelle on a assisté à la Chambre des Représentants, entre un Représentant démocrate fraichement élu, Eric Massa, officier de marine en retraite, et le vice-amiral David Architzel, responsable pour la Navy du Bureau des acquisitions au Pentagone. Le site Defense News rapporte le dialogue :

"Que se passera-t-il si ça ne fonctionne pas ?" demande Eric Massa.

"Cette technologie est maintenant critique [indispensable] pour le navire," répond l’amiral Architzel, qui détaille les mesures prises par la Navy en rééxaminant le programme, mais sans mentionner d’alternative à EMALS.

"Je le demande à nouveau, qu’est-ce qui se passera si ça ne fonctionne pas ?" demande à nouveau Massa.

"Nous sommes certains que ça va fonctionner," répond Architzel.

"Avec tout le respect que je vous dois," demande à nouveau Massa, "qu’est-ce qui se passera si ça ne fonctionne pas ?"

"En toute candeur, si ce nouveau système ne fonctionne pas ... nous devrons tout faire pour qu’il fonctionne," réponde Architzel.

Après avoir souligné qu’il n’existe aucun système équivalent en service dans aucune marine, Massa s’adresse directement à Architzel, qui est assis à seulement quelques mètres de lui.

"Je voudrais dire pour le compte-rendu que j’étais opposé à ce que la Navy passe à la classe Ford et franchisse un saut technologique aussi important," déclare Massa. "Je pense que c’est un pont trop loin avec un risque exceptionnellement élevé.

"Je suis exceptionnellement inquiet de l’impossibilité d’obtenir une réponse claire à la question simple de savoir ce qui se passera si ça ne fonctionne pas. … La réalité est, nous avons tout simplement acheté le plus gros porte-hélicoptères au monde."

Cet échange est particulièrement important dans la mesure où, contrairement à leurs homologues français, les parlementaires américains disposent du contrôle total du budget.

Ainsi, le président de la sous-commission a fait ajouté dans le budget 2010 de la Navy, que le responsable actuel du programme EMALS, le Capt. Randy Mahr, restera à son poste pendant toute la période des essais et le début de la période de construction, alors même qu’il vient d’être promu contre-amiral, et que son successeur restera en poste jusqu’à la mise en service. Il n’est pas rare que les parlementaires imposent aux armées américaines des armements dont elles ne veulent pas, ou au contraire, refusent leurs demandes.

Cet échange rappelle aussi l’émission britannique où, il y a quelques années, le journaliste a reposé près d’une quinzaine de fois la même question parce que son invité, le premier ministre de l’époque (Tony Blair, il me semble), refusait d’y répondre.

Mise à jour : un de nos lecteurs apporte la précision suivante concernant cette émission britannique :

C’était en mai 1997 et il s’agissait de Jeremy Paxman, remarquable journaliste, dans le cadre de l’émission Newsnight de la BBC - émission d’information- qu’il anima pendant près de vingt ans.

Rien à voir avec Tony Blair, Paxman questionnait un ancien ministre de l’intérieur britannique à l’occasion d’une affaire relative aux prisons : "entendez-vous vider cet individu ?" en parlant d’un directeur de prison en poste.

Malgré l’insistance aucune réponse claire ne vint .... et J.P remis cet interview en lumière quelques années plus tard, avec le même homme politique !