Le sous-marin classique : le dernier ennui de l’US Navy

  • Dernière mise à jour le 27 mars 2008.

Au cours des derniers mois, l’US Navy a dû faire face àplusieurs épisodes provocateurs en mer — des embarcations iraniennes se dirigeant vers ses croiseurs, destroyers et frégates ; des bombardiers russes survolant ses porte-avions ; et des sous-marins chinois suivant ses navires comme leur ombre.

Des sous-marins difficiles à détecter — comme les discrets sous-marins classiques — sont particulièrement frustrants, indiquent des responsables de la Navy. Ils soutiennent qu’une course aux armements sous-marins a commencé dans le Pacifique Ouest.

Au cours des dernières années, les nations de la région ont commencé à acheter des sous-marins classiques très discrets. Certaines de ces nations, expliquent les responsables de la Navy, pourraient un jour menacer l’accès des Etats-Unis à des zones côtières stratégiques ou interrompre la circulation du commerce maritime autour du globe.

Bien que la Navy dispose de la flotte la plus avancée technologiquement — y compris des sous-marins d’attaque dernier cri — les responsables reconnaissent que ces sous-marins classiques, d’une technologie comparativement très inférieure, pourraient donner à un ennemi un avantage asymétrique.

“L’intérêt d’un sous-marin classique, c’est qu’il peut être beaucoup plus silencieux qu’un sous-marin nucléaire,” déclare Guy Stitt, président d’AMI International, une société spécialisée dans l’analyse du marché naval. Les sous-marins classiques sont propulsés en plongée par des batteries et utilisent des moteurs diesel en surface.

Une fois qu’ils ont chargé leurs batteries, les sous-marins peuvent naviguer en plongée et rester indétectables pendant des jours. Bien qu’ils ne puissent parcourir de longues distances ou avancer très rapidement, les avancées technologiques, comme les systèmes de propulsion anaérobies et les piles à combustible, ont permis aux sous-marins classiques de prolonger leur portée opérationnelle en plongée.

Mais probablement leur meilleur argument de vente est leur prix relativement peu élevé. Les russes ont vendu des sous-marins classiques pour 200 millions de $ (127 millions €) et les français ont exporté leur Scorpène pour 300 millions (190 millions €).

“Beaucoup, beaucoup de pays peuvent se les offrir. Ils n’en ont pas besoin de beaucoup. Ils n’ont pas besoin de les envoyer très loin, et ils n’ont pas besoin d’avoir du personnel particulièrement compétent pour les utiliser,” explique le vice-amiral Samuel Locklear, le commandant de la 3è flotte de la Navy, qui prépare les groupes de porte-avions à se déployer dans le Pacifique et au Moyen-Orient.

Plus de 39 pays possèdent des sous-marins classiques. Un des derniers inventaires dénombre un total de 377 sous-marins dans le monde, rapporte Richard Dorn, un analyste d’AMI International. Et il pourrait y avoir une augmentation dans les prochaines années.

Alors que la Chine continue d’augmenter la taille de sa marine, un certain nombre de nations voisines ont aussi commencé à développer leurs capacités sous-marines.

“Il y a une poussée en Asie qui semble réellement provoquée par la Chine,” indique Stitt. Singapour, la Malaisie et l’Indonésie ont tous des commandes fermes pour des sous-marins classiques, et maintenant la Thaïlande suit le mouvement.

Parmi les meneurs du marché, on trouve en partie la Russie, qui au cours des 18 derniers mois a vendu ses navires, dont ses sous-marins de la classe Kilo.

“Nous avons assisté à une forte augmentation de la vente des Kilo, principalement motivée par le besoin de fonds pour renforcer leurs groupes de construction navale,” indique Stitt.

Depuis la fin de la Guerre Froide, la Russie a perdu la plupart des fournisseurs de ses chantiers navals — moteur, pompes, vannes, tuyauteries, etc. Mais la Russie essaie de revitaliser ces petites compagnies.

“Ils vont prospecter, passent tous ces accords pour vendre des sous-marins et des navires et utilisent ces fonds pour revigorer l’industrie, ce qui en retour bénéficie beaucoup à la construction de la flotte russe,” explique Stitt.

La Russie a exporté 30 Kilo dans le monde et 26 sont encore en service. Elle va en livrer 2 de plus à l’Algérie vers 2010, 5 au Vénézuela vers 2020, et 6 à l’Indonésie d’ici 2018. La Chine a reçu son 12è et dernier Kilo l’an dernier.

Le nombre de Kilo vendus est particulièrement inquiétant parce que la plupart des sous-marins sont équipés du missile de croisière anti-navire Klub.

Certaines nations ont un désir d’hégémonie régionale et veulent renforcer leur influence dans une région. C’est très certainement la raison pour laquelle le président Hugo Chavez achète des sous-marins pour le Vénézuela, indique Stitt.

Mais pour d’autres nations, les raisons sont moins évidentes.

“Il y a un large éventail de matériels militaires que vous pouvez acheter, donc pourquoi acheter un sous-marin classique ? Autant que je sache ce n’est pas pour protéger votre propre port,” a déclaré Locklear dans un entretien.

Que les sous-marins chinois fassent surface près de navires américains est un signe révélateur de nouvelles avancées technologiques, comme des tuiles acoustiques et des hélices réduisant la cavitation, qui sont employés sur les sous-marins, déclare Stitt.

Des sous-marins classiques chinois de la nouvelle classe Song ont traqué des navires américains naviguant dans les mers près du Japon et de Taïwan. En novembre dernier, après que la Chine ait refusé à la dernière minute une escale de l’USS Kitty Hawk à Hong Kong, un sous-marin chinois a suivi le porte-avions alors qu’il entrait dans le détroit de Taïwan lors du retour vers sa base de Yokosuka (Japon). A l’automne 2006, un sous-marin de la classe Song a fait surface à portée de torpille du Kitty Hawk au large d’Okinawa.

Malgré les tensions, ces épisodes et la question des sous-marins ne sont pas intervenus directement dans les conversations avec des responsables chinois en janvier dernier, lorsque le commandant de la flotte du Pacifique, l’amiral Timothy Keating, s’est rendu dans ce pays.

“Nous les surveillons attentivement. C’est un domaine où ils se développent un peu,” a-t-il déclaré à des journalistes. “Le nombre de leurs sous-marins augmente. Les capacités de leurs sous-marins ne sont pas à négliger. Ils sont assez bons — nous sommes meilleurs.”

La flotte chinoise de sous-marins classiques et nucléaires comprend 10 Song, 12 Kilo, un Yuan et 32 Romeo.

“Nous savons qu’ils augmentent continuellement leurs zones d’opération dans ce qu’ils considèrent comme leurs propres zones d’intérêt, et que leur force sous-marine est vitale pour atteindre cette expansion,” indique Locklear.

La prolifération de sous-marins classiques dans le Pacifique est l’une des principales raison pour laquelle l’US Navy a décidé de déplacer 6 sous-marins de la flotte Atlantique à celle du Pacifique, précise le contre-amiral Joseph Walsh, commandant de la flotte des sous-marins du Pacifique. Parce que plus de 140 sous-marins classiques se trouvent à porter de “points de friction” critiques dans la région, la lutte anti-sous-marine (ASM) est la principale priorité de la flotte du Pacifique, ajoute-t-il.

La Navy a vu ses compétences en matière de lutte ASM diminuer après la fin de la Guerre Froide. A cette époque, les sous-marins nucléaires soviétiques étaient bruyants et pouvaient être détectés avec un sonar passif.

Mais les sous-marins classiques modernes ne sont pas aussi facilement écoutés, en particulier dans les régions où la vie marine et la navigation de commerce peuvent camoufler leurs signatures acoustiques. C’est là, dans les eaux bruyantes du littoral, que la détection des sous-marins peut être le jeu du chat et de la souris, indiquent des responsables de la Navy.

Le contre-amiral John Waickwicz, qui était le responsable de la lutte ASM et contre les mines jusqu’à son départ en retraite en janvier dernier, indique la Navy envisage la lutte ASM de nouvelles manières.

“Lorsqu’on parle de pays qui ont 30, 40, ou 50 sous-marins, on ne peut attendre qu’ils nous entourent, parce qu’ils vont nous submerger,” déclare-t-il.

Des ennemis potentiels ont pensé que pour battre l’US Navy, ils devaient “sortir et acheter des sous-marins et des mines,” indique-t-il.

Le commandement de la lutte ASM et anti-mines proposait le déploiement d’un réseau de bouées sonores dans une grande zone de l’océan pour détecter les sous-marins ennemis. Mais le projet a connu des problèmes technologiques et de financement. Le principal problème est qu’il faut trop de temps pour analyser les données récueillies par les senseurs, explique Waickwicz. “Il faut le faire en temps réel pour pouvoir réagir immédiatement.”

Les taux de fausse détection sur beaucoup de systèmes actuels de détection sont trop élevés, ajoute Waickwicz. Cela force le commandement à gaspiller des ressources sur des menaces inexistantes.

Les responsables insistent sur le fait que les capacités de lutte ASM de la Navy sont les meilleurs au monde, mais ils reconnaissent qu’il faudra du temps avant d’améliorer les compétences pour le combat contre des sous-marins classiques discrets. Waickwicz précise que l’entraînement s’est amélioré ces dernières années, mais certaines unités ne sont pas correctement préparées pour des opérations en mer.

Par exemple, certaines unités ont montré l’efficacité de leurs opérateurs sonar sur des simulateurs qui ne sont pas suffisamment sophistiqués pour reproduire l’environnement réel, ce qui désavantage les marins lorsqu’ils effectuent des opérations en mer, indique le contre-amiral Frank Drennan, le nouveau commandant de la lutte ASM et contre les mines.

“Les exigences sont toujours les mêmes — ils doivent simplement travailler dans un environnement difficile pour que les opérateurs soient vraiment efficaces lorsqu’ils vont en mer,” indique-t-il.

Rechercher un sous-marin classique silencieux dans les eaux peu profondes du littoral ressemble à essayer d’identifier le bruit d’une voiture précise dans les embouteillages d’une grande ville, explique-t-il.

Il y a des variations dans la topographie sous-marine, avec des bancs de sable, des récifs de corail et des chenaux. Des différences de profondeur de la mer, le changement de la salinité et de la température de l’eau modifie la façon dont le son se propage. La vie marine et la navigation commerciale compliquent aussi la recherche en générant du bruit ambiant.

La seule technologie que la Navy pense adaptée pour la détection et la traque de sous-marins classiques est le sonar actif. Il envoie des signaux dans l’eau où ils se réfléchissent sur des objets. Ces échos sont recueillis par des hydrophones et interprétés par des opérateurs sonar.

Contrairement à la croyance populaire, le sonar n’est pas comme le radar, qui donne un aperçu complet des échos dans le ciel. Ce que les opérateurs sonar voient un écran rempli de lignes verticales représentant les échos renvoyés par les objets dans l’eau. Différencier quelle ligne est un sous-marin et laquelle est un récif est une tâche complexe et difficile, indiquent des marins.

La Navy a passé 40 ans à construire un centre d’entraînement sur la côte du Sud de la Californie — un des plus complets au monde, disent les responsables. Des senseurs sous-marins suivent les mouvements des navires et enregistrent les opérations pendant les exercices.

Parce que l’eau et les conditions au fond de l’océan sont représentatives de nombreux endroits dans le monde, le centre est un endroit idéal pour entraîner des groupes de porte-avions à la lutte ASM, explique Locklear.

Mais l’entraînement de la Navy à cet endroit a été suspendu par un procès en cours sur les effets nocifs du sonar actif sur les mammifères marins.

Selon la décision d’un juge fédéral, les navires ont été empêchés d’utiliser leur sonar actif à moins de 12 nautiques de la côte et devaient éviter les eaux entre les îles Santa Catalina et San Clemente. Repérer des mammifères marins à une certaine distance contraignaient aussi les navires à prendre des mesures protectrices, comme éteindre le sonar ou arrêter complètement les senseurs.

“Nous ne pouvons pas utiliser le sonar, avec ces restrictions, d’une manière réaliste, et cela rend difficile d’évaluer si la flotte est efficace en utilisant la technologie,” déclare le Capt. Pete Tomczak, directeur adjoint de l’entraînement à la 3è flotte.

Avec la perspective d’une réduction des entraînements à la mer, non seulement à cause du procès, mais aussi à la suite de la hausse des coûts du carburant et d’autres contraintes budgétaires, la Navy cherche d’autres moyens de préparer ses marins à la lutte ASM.

Une solution est de s’appuyer sur des simulateurs, indique Waickwicz. Mais il souligne que les simulateurs actuels ne reproduisent pas correctement les sonars.

“C’est comme jouer à ‘Pong’ dans le mondes des jeux d’aujourd’hui,” explique-t-il. Alors que les forces sous-marins ont des simulateurs d’une meilleure fidélité, la plupart du reste de la flotte — en particulier les navires de surface — ont des simulateurs de moindre qualité.

“Les simulations par ordinateur peuvent aller jusqu’à un certain point. Mais il n’y a aucun moyen de remplacer la pratique en mer contre un sous-marin réel,” déclare Walsh.

Parce que l’US Navy n’a plus de sous-marins classiques, elle invite des pays alliés qui possèdent de tels sous-marins pour participer à des exercices sur les côtes Est et Ouest.

Le sous-marin suédois HMS Gotland a collaboré très récemment avec divers commandements de la Navy à San Diego.

“C’était très avantageux d’avoir un équipage de sous-marin classique pendant 2 ans, pour voir comment ils pensaient, comment ils approchaient la mission d’aller contre les navires,” déclare Waickwicz. “Ca nous a vraiment ouvert les yeux sur les sous-marins classiques et un sonar actif est ce qu’on doit avoir dans le groupe de porte-avions.”

L’expérience a conduit à de récents changements dans la doctrine et les tactiques de lutte ASM de la Navy.

Source : National Defense (Etats-Unis)