Une mission secrète et dangereuse sous la banquise

  • Dernière mise à jour le 24 mars 2008.

Au sommet du globe, la surface glacée de l’océan Arctique est restée relativement pacifique. Mais dans les profondeurs, la Guerre Froide a opposé les 2 super-puissances.

Bien que les super-puissances aient prévu de transformer ces profondeurs en un enfer d’explosion de torpilles et de lancement de missiles, la fraternité des sous-mariniers a travaillé dur pendant des décennies pour garder secret ces plans.

Actuellement, quelques éléments filtrent au travers de quelques fissures dans ce mur de silence, révélant une partie des recherches et de l’espionnage qui se déroulaient lors de la préparation du conflit.

L’USS Queenfish
L’USS Queenfish en surface au pôle Nord en aout 1970. © US Navy

Un nouveau livre, “Unknown Waters”, raconte le voyage d’un sous-marin en 1970, le Queenfish, lors d’une plongée sous la banquise pour cartographier le plateau continental Sibérien. Les Etats-Unis avaient lancé cette mission dans le cadre de la préparation clandestines d’opérations sous-marines dans l’Arctique et pour remporter toute confrontation militaire avec l’Union Soviétique.

Dans le plus grand secret, se déplaçant aussi discrètement que possible sous la glace traitresse, le Queenfish, commandé par le Capt. Alfred S. McLaren, a cartographié des milliers de milles de fond marin précédemment inconnu à la recherche de routes sous-marines sûres. Il a souvent dû manœuvrer entre le fond peu profond et des quilles de glace descendant à plus de 30 m sous la surface, menaçant de détruire le sous-marin et ses 117 hommes d’équipage.

Un autre danger était que le sous-marin pouvait simplement être pris dans les glaces avec aucun moyen de s’échapper ni d’appeler au secours pendant que la nourriture et les autres approvisionnements s’épuiseraient.

A un moment, le Queenfish est resté coincé dans un cul-de-sac. Il a fallu plus d’une heure pour revenir sur ses traces et sortir de ce qui menaçait de devenir une tombe glacée.

“J’en ai toujours rêvé,” raconte McLaren, âgé maintenant de 75 ans, l’auteur du livre. “C’était très effrayant.”

Sylvia A. Earle, un océanographe et ancien responsable scientifique de la National Oceanic and Atmospheric Administration [1], a déclaré que de telles aventures dans des eaux dangereuses ont fait de McLaren un véritable héros. “Le sous-marin aurait pu disparaitre et personne n’aurait rien su à son propos,” explique-t-elle. “Mais ils sont passés. C’est de l’exploration au vrai sens du terme.”

Après la mission de McLaren, l’Arctique est devenu le théâtre d’opérations militaires au cours desquelles les Soviétiques ont essayé de cacher leurs SNLE sous la bordure de la banquise pendant que les SNA américains essayaient sans relâche de les découvrir. L’objectif était de détruire les sous-marins soviétiques si la Guerre Froide devenait chaude, le faisant suffisamment rapidement pour les empêcher de lancer leurs missiles nucléaires sur les Etats-Unis.

Norman Polmar, un auteur et spécialiste des opérations de la Navy, a qualifié l’environnement polaire de “très, très difficile” pour les sous-marins. Il explique que les grincements émis par le frottement des blocs de glace rendaient presque inutile le sonar du sous-marin — les rayons sonores qui se réfléchissent sur le fond et les objets environnants.

Polmar a ajouté que la communauté des sous-mariniers considéraient cependant l’Arctique comme “une grosse affaire” parce qu’elle avait un quasi-monopole sur les opérations là-bas.

McLaren commandait l’un des navires les plus modernes de la Navy.

Il s’agissait du premier d’une classe de sous-marins spécialement conçue pour des opérations continues dans la région polaire. Il était équipé d’un appareil acoustique spécial destiné à l’aider à visualiser le monde complexe sous la banquise.

Par exemple, le sous-marin avait un senseur spécial pour détecter les icebergs pointant vers le bas avec des arêtes menaçantes. De l’avant à l’arrière, il avait un total de 7 senseurs acoustiques pointant vers le haut pour aider l’équipage à estimer l’épaisseur de la banquise.

Comme McLaren le raconte dans “Unknown Waters”, le Queenfish, lors de la préparation de son voyage Arctique, a été débarrassé de toutes ses marques d’identification et a embarqué un chargement complet de torpilles.

Le commandant de l’USS Queenfish
Le Capt. Alfred S. McLaren, àgauche, et un marin non-identifié surveillent les ours polaires. © US Navy

Il est arrivé au pôle Nord le 5 aout 1970, faisant surface dans une mare d’eau libre. Sur la glace, un Père Noël impromptu a fait son apparition parmi les membres d’équipage.

Puis le sous-marin a navigué vers le plateau continental Sibérien où il a commencé sa mission secrète de reconnaissance.

Moscou revendiquait les mers sur 200 nautiques à partir de ses côtes, y compris la plupart du plateau continental, dont la profondeur était en moyen d’une centaine d mètres. Mais Washington ne reconnaissait qu’une limite territoriale de 12 nautiques, et McLaren a reçu l’ordre de naviguer selon cette règle.

Comme le raconte le livre, le sous-marin s’est aventuré à plusieurs reprises à portée de périscope de la terre. Dans l’archipel de Severnaya Zemlya, l’équipage a examiné les îles de la Révolution d’Octobre et Bolshevik.

Le Queenfish a aussi repéré un convoi. “Je pouvais voir et identifier les 6 navires comme soviétiques”, écrit McLaren. “Il s’agissait d’un brise-glace accompagné d’un pétrolier et de 4 cargos se dirigeaient vers l’Est qui avançaient lentement au travers de la banquise.”

La principale mission était de cartographier le fond et de recueillir des données océanographiques dans l’hypothèse où l’Arctique deviendrait un théâtre majeur d’opérations militaires. Le sous-marin a trouvé et suivi les contours de profondeur, par exemple, en localisant les zones du bassin Arctique où le fond est à 200 m sous la surface.

C’est en suivant le contour du fond que le Queenfish s’est retrouvé dans un cul-de-sac. L’équipage regardait un western, “Shane,” quand on est venu chercher le commandant McLaren en lui murmurant que le sous-marin était bloqué.

“Le cœur au bord des lèvres, j’ai couru au poste central,” écrit-il. “Dans toutes les directions, le détecteur d’iceberg indiquait de la glace.”

McLaren a ordonné de stopper tous les mouvements de l’équipage pendant que, à l’aide de l’hélice, de la barre de direction et des barres de plongée, le Queenfish revenait lentement en arrière. Finalement, le sous-marin est revenu dans des eaux plus profondes, et l’équipage “a poussé collectivement un profond soupir de soulagement.”

Le voyage de 2 mois s’est terminé à Nome, Alaska, où le sous-marin et son équipage ont reçu un accueil glacial. Le maire et d’autres habitants avaient pris par erreur le sous-marin sans aucune marque pour un soviétique.

En 1972, McLaren a reçu la Distinguished Service Medal, la récompense la plus élevée en temps de paix.

Les historiens indiquent que les manœuvres dans l’Arctique sont devenues plus courantes après sa mission, les 2 côtés déployant plus de sous-marins sous la banquise. Les Etats-Unis ont construit 36 sous-marins de la même classe que le Queenfish, la classe Sturgeon.

On en sait publiquement peu sur les exploits polaires. Mais régulièrement, le monde glacé donnait un avant-goût de la guerre. En 1984, un satellite américain observait un sous-marin soviétique faisant surface au travers de la glace au large de la Sibérie pour tester ses missiles.

Des experts militaires et légaux indiquent que le livre de McLaren, tout en donnant un aperçu sur le monde caché de la préparation de la guerre Froide, pourrait aussi provoquer des vagues dans le milieu politique aujourd’hui.

La raison est que le sous-marin a effectué des violations répétées de ce que Moscou considérait comme ses eaux territoriales, des frontières que Washington refusait de reconnaitre. La révélation de ces faits pourrait remettre en cause dans des réunions internationales les droits de navigation américains, ont averti des experts légaux dans des entretiens.

Bernard H. Oxman, un spécialiste de la loi maritime à l’école de droit de l’université de Miami, a appelé le voyage de 1970 “une indication de pratique d’état et le refus de reconnaître des revendications russes sur la navigation.” Bien que Moscou ait adouci ses revendications au cours des dernières années, le précédent légal demeure.

McLaren considère lui aussi sa mission d’espionnage comme une étape pour la liberté de navigation, que ce soit dans les eaux russes ou ailleurs dans les zones contestées au sommet du globe.

La question est brulante aujourd’hui, parce que la fonte de la banquise ouvre de nouvelles voies de communication et pourrait permettre d’accéder à de vastes réserves de ressources naturelles, dont le pétrole.

“Il est important de maintenir la liberté des mers,” a indiqué McLaren dans un entretien. “C’est quelque chose pour lequel notre pays s’est toujours battu depuis sa fondation.”

Le réchauffement mondial et la fonte de la banquise créent de nouvelles opportunités et responsabilités, a-t-il indiqué, ajoutant : “Nous devons tenir nos positions.”

Notes :

[1Equivalent du SHOM et de l’IFREMER.

Source : The Day (Etats-Unis)