Quels enseignements tirer de la guerre menée par l’Ukraine en mer Noire ?

  • Dernière mise à jour le 1er novembre 2023.

L’Ukraine a montré en mer Noire des capacités navales surprenantes, parvenant à protéger ses côtes et le trafic commercial tout en repoussant la flotte de son agresseur. Cette réussite est particulièrement remarquable parce que l’Ukraine n’a pratiquement aucun bâtiment de guerre. Elle est y parvenue grâce à l’utilisation ingénieuse de technologies nouvelles, comme les navires de surface sans équipage chargés d’explosifs, et d’anciennes, comme les missiles terrestres et les mines marines.

Une caractéristique importante de la guerre navale en mer Noire est la quasi-impossibilité pour les marines non-riveraines de franchir les détroits turcs. Depuis 1936, la convention de Montreux limite le nombre et la taille des bâtiments de guerre pouvant opérer en mer Noire, ainsi que la durée où ils peuvent y rester. Les marines riveraines de la mer Noire ne sont pas sujettes à ces limitations.

La convention donne aussi à la Turquie le droit de fermer les détroits aux bâtiments de guerre en temps de guerre ou de menace. La Turquie a fermé les détroits depuis le début de l’attaque russe, ce qui empêche la Russie de renforcer sa Flotte de la mer Noire et les pays de l’OTAN d’y pénétrer.

Lors de l’effondrement de l’Union Soviétique en 1991, la Flotte de la mer Noire comprenait plus de 300 bâtiments et sous-marins, qui a été répartie entre la Russie, l’Ukraine et la Georgie. En 2008, la Russie a détruit la flotte géorgienne.

Lors de la saisie en 2014 de la Crimée, la Russie a capturé la flotte ukrainienne basée à Sébastopol. Depuis une décennie, la marine russe domine sans partage la mer Noire.

Lors de son attaque sur l’Ukraine, la Russie a utilisé toute sa puissance navale, lançant depuis la mer des missiles sur des cibles terrestres, menaçant la côte d’une attaque amphibie et cherchant à bloquer le commerce maritime, en particulier les exportations de blé.

Cette stratégie n’a eu qu’une efficacité limitée à cause de l’utilisation astucieuse par l’Ukraine des navires de surface sans équipage, de missiles et de mines marines.

L’Ukraine a utilisé à de nombreuses reprises des navires sans équipage chargés d’explosifs pour s’attaquer aux navires russes, certains situés dans des ports russes à des centaines de miles des eaux contrôlées par l’Ukraine. Et elle développe désormais un véhicule sous-marin sans équipage, chargé d’explosifs, beaucoup plus discret que les navires de surface.

Des missiles anti-navires ukrainiens ont coulé l’an dernier le navire amiral de la flotte russe de la mer Noire, le croiseur Moskva. Des missiles ukrainiens ont récemment endommagé le quartier-général de la flotte à Sébastopol et un système de défense anti-aérienne. Certains navires russes se ont fui la Crimée pour des ports plus à l’est, même s’ils restent à portée des attaques de sous-marins sans équipage.

Depuis le début du conflit, les mines ont empêché la Russie de lancer un assaut amphibie sur le port d’Odessa. L’Ukraine a ainsi pu conserver la capacité de faire passer le trafic commercial le long des côtes ouest de la mer Noire.

L’Ukraine a montré que l’utilisation de sous-marins sans équipage, de missiles anti-navire et de mines marines peut empêcher une marine pourtant supérieure de contrôler l’espace maritime, du moins dans une mer relativement confinée.

Si l’Ukraine a utilisé des moyens nouveaux pour y parvenir, d’autres technologies ne sont pas nouvelles. Les missiles anti-navires sont utilisés depuis plusieurs décennies et même des acteurs non-étatiques comme le Hezbollah au Liban et les rebelles Houthis du Yémen les ont utilisés. Les mines marines ont contrecarré l’action de marines supérieures depuis la guerre de Crimée dans les années 1850.

L’Ukraine a montré comment l’utilisation combinée et judicieuse de ces technologies peut dépasser les avantages d’une marine plus forte.

Les leçons qu’on peut tirer de la guerre actuelle en mer Noire ne sont pas universels. La haute mer change de nombreux paramètres. Mais le développement des technologies va se poursuivre et les navires sans équipage pourront être employés pour un plus large éventail de missions. Ce qui se passe aujourd’hui en mer Noire pourrait annoncer un changement dans la guerre navale, où de gros bâtiments de guerre seraient de plus en plus vulnérables, même face à des nations n’ayant pas de marines importantes.

Source : Defense News (Etats-Unis)