Gestation difficile pour les futurs sous-marins australiens

  • Dernière mise à jour le 15 janvier 2012.

Le 28 aout 1993, le premier ministre australien Paul Keating lançait en grande pompe le 1er sous-marin de la classe Collins. Le faste était impressionnant. Les journaux australiens saluaient l’événement comme un triomphe. Mais ce n’était en réalité qu’une gigantesque mystification.

Des plaques d’acier n’étaient que de simples planches de bois peintes en noir. Les moteurs n’avaient jamais été essayés dans l’eau de mer. La fabrication des tuyaux n’était pas terminée, pas plus que la conception du sous-marin lui-même. Et le système de combat ne fonctionnait pas. Alors que la bouteille de champagne explosait sur la coque, ce sous-marin rutilant était plus dangereux pour le contribuable australien que pour ses ennemis.

Ce programme a laissé derrière lui un héritage de défiance vis-à-vis des programmes de défense. Une série de rapports publiés l’an dernier montrent que cette défiance est toujours méritée.

Ils ont confirmé que les leçons du programme Collins n’ont pas été tirées. Le gouvernement australien continue de lancer des programmes d’armement coûtant des milliards $ sans analyse correcte. Et les programmes eux-mêmes sont mal gérés.

Aucune décision ne met mieux en lumière les problèmes que la promesse faite par le gouvernement australien d’acheter 12 nouveaux sous-marins, « assemblés en Australie du Sud », pour remplacer les actuels Collins. Comparés à ces derniers, les nouveaux sous-marins devront « avoir plus d’autonomie, rester plus longtemps en mer, pouvoir accomplir un large éventail de missions et disposer de plus de capacités ».

L’une des fautes fondamentales pour les Collins avait été de lancer le programme, sans effectuer d’analyse correcte des coûts/bénéfices que ce soit pour le programme ou pour ses principales caractéristiques.

Comme l’indique la 1ère partie d’un audit, cela avait conduit le gouvernement de l’époque, « peut-être sans en apprécier complètement les conséquences potentielles », à retenir un sous-marin « pratiquement sans équivalent dans le monde ». Et comme le révèle un autre audit de la RAND, les possibilités de réduire les risques « en réduisant légèrement les spécifications, en particulier pour le système de combat, » ont été ignorées, comme l’ont été les « conséquences, pour le calendrier et le coût du programme, des spécifications opérationnelles et des risques technologiques ».

Mais, alors même que le processus de définition des sous-marins Collins avait été défaillant, le gouvernement actuel a effectué encore moins de vérifications sur le programme des futurs sous-marins, avant même de l’annoncer. Seule une évaluation très superficielle des couts a été menée. Les spécifications du futur sous-marin n’ont pas étudiées sérieusement. Et la décision d’assembler les sous-marins à Adélaide, excluant ainsi l’importation de sous-marins entièrement construits, a été entièrement politique.

Sans surprise, les chantiers navals soutiennent cette décision. Ils expliquent que le positionnement géographique et stratégique de l’Australie impliquent des exigences opérationnelles que les sous-marins classiques existants, principalement construits pour les eaux européennes peu-profondes, ne peuvent respecter.

Comme le gouvernement a écarté l’option de la propulsion nucléaire, qui permettrait pourtant de respecter ces exigences, cela implique inévitablement une conception et une construction sur mesure. Nous sommes, explique le gouvernement, tout aussi bien placés pour conduire cette conception sur mesure que n’importe quel concepteur étranger, en particulier grâce à l’expérience tirée des Collins et des nouveaux destroyers. En effet, il prétend que, à moins de construire les sous-marins, l’Australie ne pourrait pas les entretenir.

Ces arguments ne sont pas convaincants. Il est vrai que la géographie et la stratégie puissent augmenter la valeur que l’Australie donne à des caractéristiques comme la capacité de mener des missions de longue durée. Mais selon l’étude RAND, la seule conception d’un sous-marin avec ces caractéristiques exigerait au moins 8 à 12 millions d’heures (entre 5.000 et 8.000 an-homme [1]) d’ingénieurs efficaces et expérimentés.

Même si cette expertise pouvait être trouvée, et cela implique de doubler ou tripler le nombre d’ingénieurs qui travaillent actuellement sur le projet, la question est de savoir si ces capacités supérieurs d’un sous-marin sur mesure ont une valeur militaire qui excède leur augmentation de coût. La question n’a jamais été étudiée, encore moins répondue.

Les chantiers navals préfèrent soutenir que la construction locale est essentielle si l’Australie veut entretenir les sous-marins. Mais l’audit Coles les contredit : « les compétences nécessaires pour l’entretien sont très différentes de celles nécessaires pour la conception et la construction ». Les prédécesseurs des Collins, les Oberon, avaient été importés de Grande-Bretagne, mais entretenus et modernisés à Cockatoo Island. Et alors que l’Australie a construits les Collins, elle n’a jamais été capable de les entretenir.

En ce qui concerne la supposée expérience acquise, la force sous-marine australienne connait plus de problèmes que jamais. Le grand carénage (en gros, une révision générale) du 1er Collins a pris 2 ans. Cette durée a maintenant explosé à 3 ans ce qui, selon le commentaire de l’audit Coles, « est très long, même pour un sous-marin nucléaire moderne ».

Et les difficultés ne s’arrêtent pas là : l’audit Rizzo, qui a examiné le soutien de la flotte australienne après le désarmement anticipé du HMAS Manoora et l’indisponibilité du HMAS Kanimbla, identifie un déclin général dans l’efficacité, puisqu’un « manque critique de personnel mécanicien et électricien » a conduit à une situation dans laquelle « les inspections annuelles rigoureuses de l’état des bâtiments ont disparu », les réparations élémentaires n’étant plus effectuées.

Tout ceci ne semble pas être les meilleurs conditions pour lancer un programme de conception, de construction et d’entretien qui, même pour les meilleurs, serait un énorme défi.

Notes :

[1Quantité de travail correspondant à une an d’un homme.

Source : The Australian (Australie)