Débats houleux autour des sous-marins en Inde

  • Dernière mise à jour le 3 septembre 2010.

Il semble de plus en plus évident que la raison qui explique la lenteur de la prise de décision concernant une 2è série de sous-marins en Inde, soit les profondes divisions au sein même de la marine indienne en ce qui concerne la force sous-marine. Le débat fait rage entre la force sous-marine et la marine de surface — en particulier la branche aéronavale qui prédomine — afin de savoir si l’avenir réside dans les sous-marins ou dans les porte-avions. Au sein même de la communauté des sous-mariniers, dans le même temps, le débat oppose les mérites des sous-marins classiques face à la propulsion nucléaire.

Ralenti par ces débats internes, le projet de construction de sous-marins — qui devait s’étendre sur 30 ans — que le gouvernement indien a approuvé en 1999, est très en retard. Il prévoyait de construire 24 sous-marins classiques en Inde. 6 à l’aide de technologies occidentales et 6 avec la collaboration de la Russie. Puis les ingénieurs indiens, ayant absorbé le meilleur des 2 mondes, devaient concevoir 12 sous-marins. Pour le Projet 75, la construction de 6 sous-marins Scorpène (les 6 “occidentaux”), le contrat n’a été signé qu’en 2005, après plusieurs années de tergiversations. Selon le ministère indien de la défense, le début des travaux de construction de la 2è série de sous-marins (les 6 russes, mais l’appel d’offres est ouvert à tous — le projet 75I) n’interviendrait que dans 4 à 6 ans.

Un amiral en retraite, reflétant la position de la force sous-marine, rend responsable le lobby “porte-avions” pour le retard dans la construction des sous-marins. Il prétend que “les 2 derniers chefs de la marine (les amiraux Arun Prakash et Sureesh Mehta) étaient des aviateurs, qui n’avaient aucun intérêt à utiliser le budget limité de la marine pour construire des sous-marins. Ils ont donc exploité la division de l’opinion contre les sous-mariniers — le débat propulsion nucléaire contre sous-marins classiques — pour remettre la construction de sous-marins à plus tard.”

Les sous-marins à propulsion nucléaire sont de 2 types : les sous-marins équipés de missiles balistiques (les SNLE) et les sous-marins d’attaque (les SNA). Tous les 2 sont propulsés par l’énergie d’un réacteur nucléaire embarqué, mais les SNLE peuvent aussi lancer des missiles balistiques à têtes nucléaires. Les SNLE ne font pas partie de la marine de combat ; ils constituent la dissuasion nucléaire d’un pays et lancent leurs missiles nucléaires sur l’ordre des dirigeants du pays. Les SNA opèrent dans le cadre d’une force navale, se déplaçant grâce à leur énergie nucléaire et coulant les bâtiments de surface avec des torpilles et des missiles classiques.

Il est intéressant de noter que l’Inde est le seul pays qui a choisi de construire des SNLE (l’INS Arihant lancé récemment et 2 autres du même type) avant de construire une force de SNA [1]. La raison est un besoin profond de rendre opérationnelle la triade nucléaire — terre, mer, air.

Mais la possibilité de constituer une force de SNA reste vivace. En 2004, lorsque l’INS Arihant a été conçu dans le cadre du programme Advanced Technology Vessel (ATV), l’amiral Arun Prakash, chef de la marine indienne à cette époque, avait proposé que le programme ATV soit élargi à 6 SNLE et 4 SNA. Cela aurait exigé que des budgets importants soient affectés au DRDO pour développer les technologies nécessaires. Pranab Mukherjee, ministre de la défense à l’époque, soutenait l’attribution de ce budget. Mais, selon des sources proches du projet ATV, son successeur, AK Antony, s’est retiré : pour lui, le bureau du Premier Ministre devait prendre toutes les décisions concernant le programme nucléaire stratégique indien. La proposition est donc tombée à l’eau.

Le directeur général du DRDO, le Dr VK Saraswat, confirme qu’un SNA pourrait être développer sans difficulté. “Actuellement, je n’ai aucun mandat pour construire un SNA. Mais, dès que le gouvernement en prend la décision politique, nous pouvons commencer à travailler dessus. La seule différence majeure entre un SNA et un SNLE, c’est l’armement, et la taille change. La conception générale, et l’intégration des systèmes restent similaires.”

Les soutiens des sous-marins nucléaires, tels que le contre-amiral en retraite Raja Menon, expliquent que les sous-marins nucléaires ont un avantage critique sur les classiques : l’endurance. Si les sous-marins classiques sont plus discrets et plus difficiles à détecter en plongée, ils sont très facilement repérés lorsqu’ils rechargent leurs batteries. De plus, ils naviguent lentement en plongée, contrairement aux sous-marins nucléaires, qui peuvent rester en plongée presque indéfiniment. Cela permet à un seul sous-marin — naviguant en plongée vers son lieu de plongée et y restant, sans être détecté, pendant des mois — de faire le travail de plusieurs sous-marins classiques, qui révèlent leur position à chaque fois qu’ils doivent recharger leurs batteries.

L’amiral Menon précise que “un seul SNA peut surveiller une zone de 1.000 nautiques de rayon aussi efficacement que 3 sous-marins classiques. Cette dernière solution exige un sous-marin sur place, un autre en transit pour le relever et un 3è sur le retour pour se ravitailler. Si la zone de patrouille fait plus de 1.000 nautiques de rayon, un seul SNA fait le travail de 5 sous-marins classiques. C’est pourquoi l’US Navy est passée à une force sous-marine entièrement nucléaire.”

Mais Menon reconnait que la marine indienne aurait toujours besoin de sous-marins classiques. Les eaux côtières indiennes sont si peu profondes que des SNA, d’un déplacement de 4 à 5.000 tonnes, courent le risque de heurter le fond. Des sous-marins classiques, d’un déplacement d’environ 1.500 tonnes, sont nécessaires pour surveiller les zones côtières.

Notes :

[1Cette affirmation est fausse : certaines grandes marines nucléaires, comme la France, ont fait de cette manière.

Source : Business Standard (Inde)