Les pirates de la Corne de l’Afrique

  • Dernière mise à jour le 28 novembre 2008.

D’un côté, 8 marines militaires, les plus importantes compagnies maritimes au monde, les riches états du golfe Persique qui ont besoin que leur pétrole arrive dans les raffineries, et les grandes puissances, dont le commerce dépend énormément des routes de navigation passant autour de la Corne de l’Afrique. De l’autre, quelques milliers de pirates somaliens sur de petites embarcations avec des armes de petit calibre. Pourquoi donc les pirates gagnent-ils ?

Non seulement, ils gagnent, mais les forces de l’ordre sont presque complètement paralysées. Les pirates ont pris d’assaut des dizaines de navires, obtenant pour cette seule année des rançons s’élevant à près de 30 millions $. Quatorze navires, dont un super-tanker saoudien chargé de 2 millions de barils de pétrole, sont toujours mouillés au large des côtes somaliennes, attendant qu’une rançon soit payée.

Pourtant, à l’honorable exception des Indiens et des Français, personne n’a utilisé la force contre les pirates de la corne de l’Afrique. La marine danoise a bien arrêté 10 pirates en septembre, mais elle a dû les libérer parce que son gouvernement pensait qu’il n’avait pas juridiction pour les poursuivre. Le Foreign Office britannique a conseillé à la Royal Navy de ne pas arrêter de pirates de certaines nationalités (dont les Somaliens) puisqu’ils pourraient demander l’asile politique.

Alors que l’ampleur des attaques de pirates s’étend, la réaction internationale est la retraite. De grandes compagnies de transport maritimes ont ordonné à leurs pétroliers sortant du golfe Persique de ne plus utiliser la route du canal de Suez, qui les fait passer au large de la côte nord de la Somalie. Ils devront contourner le sud de l’Afrique, ajoutant 2 semaines au voyage, au prix de 20 à 30.000 $ par jour.

Que faire ? La plupart des spécialistes disent que ce problème ne pourra être résolu en mer. La piraterie ne se terminera quand l’ordre aura été restauré en Somalie, la base des pirates. Comme la Somalie est actuellement divisée entre 3 gouvernements différents, dont un seul (le Somaliland) exercice réellement un degré minime un contrôle de son territoire, cela semble utopique.

La dernière tentative internationale de grande ampleur de retirer la Somalie des griffes des chefs de guerre et de leurs milices remonte à 1992-93. Elle s’était terminée par une retraite précipitée des troupes américaines, suivies par toutes les forces des Nations Unies. Si un appel au volontariat pour répéter cette action devait être lancé aujourd’hui, une épidémie de surdité diplomatique balaierait le monde entier.

Si nous devons attendre qu’un gouvernement central ayant une autorité réelle, soit en place en Somalie pour que la menace pirate disparaisse au large de la Somalie, cet heureux événement n’arrivera probablement pas avant les années 2020. Pourquoi ne pas résoudre le problème en haute-mer, là où les milices des clans et les attentats suicide ne sont pas un problème ? pourquoi ne pas tout simplement capturer ou tuer suffisamment de pirates pour que les autres décident de choisir un autre métier ?

Ne croyez pas les absurdités disant que c’est une zone maritime trop étendue pour pouvoir être contrôlée et surveillée efficacement. C’est une des missions que les marines des grandes puissances sont entraînées à accomplir, et elles disposent du matériel adéquat pour cela : satellites de surveillance, avions de patrouille maritime et bâtiments de guerre avec des radars puissants et des armes mortelles. De plus, les marines sont généralement à la recherche de travail, puisqu’on ne fait pas appel tant que ça à leurs services en temps de paix.

Le problème n’est pas dans la réticence ou l’incompétence des marines. Il se situe dans l’ensemble des textes internationaux — traités et législation protégeant les droits de l’homme — qui ont été adoptés au cours des dernières décennies, qui ont rendu les remèdes traditionnels contre la piraterie très difficiles à appliquer. La convention des Nations unies sur le droit de la mer, par exemple, exige qu’un bâtiment de guerre envoie une équipe conduite par un officier sur tout navire pirate suspecté pour confirmer ses intentions criminelles. Tant que cela n’a pas été fait, le bâtiment de guerre n’a pas le droit d’ouvrir le feu.

Le terme couramment employé pour définir les membres de telle équipe est “otages”. Au début du 18è siècle, quand les pirates des Caraïbes — les VRAIS pirates des Caraïbes, pas Johnny Depp ou Keith Richards — ont finalement été éliminés par les marines des grandes puissances européennes, il n’y avait pas tant de stupidités. Les pirates étaient considérés comme “ennemis de toute l’humanité” et il y avait un droit de “juridiction universelle” à leur encontre.

Tout pays pouvait arrêter les pirates de n’importe quel autre pays et les juger pour leurs crimes. S’ils avaient été capturés au combat, ils pouvaient même être exécutés sans autre forme de procès. Et, bien qu’on ne soit plus au 18è siècle, une résolution du Conseil de Sécurité décrétant la “juridiction universelle” transformerait certainement la situation.

Supposez qu’une telle décision soit prise, et qu’il soit alors annoncé que tout bâtiment civil transportant des hommes armés à moins de 500 km des côtes somaliennes serait arrêté. S’il ne se soumettait pas à la fouille, il pourrait être coulé sans autres discutions. Faites-le 2 ou 3 fois (comme la frégate indienne INS Tabar), et la menace des pirates s’évanouira très rapidement.

Est-ce que les Nations Unies ont la volonté de prendre ces mesures dans le golfe d’Aden et les océans qui bordent l’Afrique de l’Est ? Peut-être. Elle vient juste de donner à la marine indienne le droit de poursuivre les pirates suspectés dans les eaux territoriales somaliennes, mais il faudra encore aller plus loin. La piraterie peut être stoppée, avec très peu de pertes en vies humaines, si nous voulions simplement changer les règles d’engagement.

Par Gwynne Dyer


Gwynne Dyer est un expert canadien des questions militaires, un journaliste et un historien.

Source : Tehran Times (Iran)