Les projets sous-marins de la marine indienne subissent un revers

  • Dernière mise à jour le 17 novembre 2008.

Une masse de câbles enchevêtrés, de plaques de tôle branlantes et d’échafaudages entourent une coque miteuse, échouée dans une cale sèche dans le chantier naval public Hindustan Shipyard Ltd. (HSL) à Visakhapatnam.

Quelques ouvriers se promènent tranquillement autour du chantier, fermant les yeux sur le chaos alentour. Bienvenue sur “la reine de la cale sèche”, l’INS Sindhukirti. Depuis près de 5 ans, ce sous-marin subit une période de maintenance à mi-vie, soit 15 ans de vie opérationnelle, maintenance effectuée par une équipe de chantier squelettique.

Il ne pourra rejoindre la flotte seulement après 5 ans nouvelles années. Ce requin d’acier aura alors passé le tiers de sa vie utile en remise en état. "Nous avons complètement bousillé ce sous-marin," se désole un officier de la marine indienne.

Alors même que la marine attend un rapport formel sur l’accident survenu à bord du sous-marin nucléaire d’attaque Nerpa (qui doit être loué à l’Inde l’an prochain sous le nom d’INS Chakra), elle s’inquiète de l’état lamentable de sa flotte de sous-marins classiques.

Sur le papier, la marine indienne, le 5è au monde, dispose d’une flotte forte de 16 sous-marins. En réalité, seuls 6 sont opérationnels et disponibles pour des missions de combat ou de surveillance. Au moins 4 autres, comme le Sindhukirti, sont coincés au milieu de remises en état prolongées et négligées.

Le pire secret de la marine indienne a été révélé par le Comptroller and Auditor General (CAG) dans son rapport 2006-07, déposé récemment devant le Parlement.

"Dans ce qui pourrait sérieusement affecter la préparation opérationnelle de la marine indienne, plus de la moitié de ses sous-marins ont dépassé 75% de leur vie opérationnelle et certains (l’INS Vela et l’INS Vagli) ont déjà dépassé leur durée maximale de vie," indique le rapport.

Ce trou dans les capacités de la marine indienne intervient à un moment où elle est à la veille de recevoir 3 SNLE, la capacité de frappe en second, c’est à dire de dissuader un ennemi avec des représailles nucléaires en cas d’attaque en premier.

Le premier sous-marin doit être lancé le 26 janvier, dans seulement 2 mois, et les 2 autres, actuellement construits à Hazira, Gujarat, doivent suivre dans les 5 prochaines années.

Le Chakra — un sous-marin d’attaque russe discret — n’était pas seulement destiné à renforcer les capacités d’attaque sous-marine, mais à former rapidement des équipages pour embarquer à bord des 3 ATV ( [1].

Chaque sous-marin nucléaire a besoin de 100 marins et la marine a besoin de plus de 500 personnels spécialement formés pour embarquer sur les sous-marins au cours des 5 prochaines années. Mais, alors que la force sous-marine dont l’effectif théorique est de 2.850 officiers et marins, subit déjà un déficit de personnels de 30%, on ignore comment ce déficit sera comblé rapidement.

Maintenant, alors que la marine se dispose à vérifier les défauts possibles dans les systèmes communs entre l’ATV et l’Akula, elle doit faire face à un trou important dans la préparation opérationnelle de sa flotte classique.

A cause d’une flotte vieillissante et de calendriers de révision retardés, la disponibilité moyenne des sous-marins est de 48% (le taux idéal est de 66%). Il s’agit d’une flotte chargée de défendre 7.600 km de côtes et de patrouiller une sphère d’influence qui s’étend du golfe d’Aden au détroit de Malacca.

Le rapport du CAG note : "Si le projet de construction de sous-marins n’est pas accéléré, 63% de la flotte actuelle aurait fini leur durée de vie prévue d’ici 2012, lorsque le premier des nouveaux sous-marins (6 sous-marins Scorpène en construction à Mazagon Docks Ltd. à Mumbai, seront mis en service avec un intervalle de 18 mois à partir de 2012) sera mis en service selon le calendrier actuel."

Ce n’est pas tout. En continuant les calculs, on s’aperçoit qu’entre 2016 et 2018 — dans moins de 10 ans — 7, soit 60% de la flotte restante, devront être désarmés. Comment en est-on arrivé là ?

Pour seulement pouvoir maintenir sa flotte actuelle de 16 sous-marins, la marine a besoin d’ajouter un sous-marin tous les 2 ans. C’est une équation acceptée qui veut que, pour garder un sous-marin en mer, une marine doit en avoir un en modernisation. La marine indienne a échoué sur les 2 tableaux. Elle n’a pas mis en service un seul nouveau sous-marin au cours des 8 dernières années.

Des modernisations selon le calendrier sont essentielles pour garantir la disponibilité et la préparation opérationnelle d’un sous-marin. Mais selon le CAG, la plupart des modernisations n’ont pas pu être effectuées à l’intérieur de la période prescrite.

C’est une sale histoire de tergiversations politiques, de maladresses bureaucratiques et d’incompétences des chantiers navals du secteur public. C’est une histoire qui a presque couté au pays ses capacités nationales de construction de sous-marins, à la suite du scandale des malversations de HDW dans les années 80 lorsque le constructeur allemand avait été mis à l’index.

Le projet de la marine de construire 24 sous-marins classiques sur 30 ans a été approuvé il y a 10 ans mais jamais appliqué. Les gouvernements successifs n’ont jamais exploré la possibilité de construire plus de sous-marins à MDL et gaspillé 12 ans, permettant presque que les compétences soigneusement conservées des ingénieurs, que seule une poignée de pays possèdent, disparaissent.

Cette force impressionnante de 24 sous-marins ne se réalisera probablement pas, même dans 10 ans. Officiellement, le Sindhukirti, pour la remise en état duquel le chantier a déjà été payé 104.000 €, doit rejoindre la flotte en 2010. Mais avec presque 30% de sa modernisation — pendant laquelle le sous-marin est vidé de tous ses équipements, sa coque inspectée et les machines remplacées — terminée depuis 2004, les responsables disent qu’il est impossible qu’il puisse être opérationnel avant 2015.

Six des 10 sous-marins Kilo de la flotte indienne ont été modernisés par le chantier russe Zvezdochka. Le dernier, le Sindhuvijay, doit appareiller pour l’Inde le mois prochain. Bien que le programme ait été sévèrement critique par le CAG qui l’a qualifié de "modernisation décousue et d’amélioration de sous-marins pour un cout global de 250.000 € effectué par la marine sans l’approbation des autorités financières compétentes," il semble remarquable lorsqu’on le compare aux modernisations effectuées en Inde.

Il a seulement fallu entre 24 et 28 mois au chantier russe pour moderniser chaque sous-marin Kilo, là où il faut une décennie à un chantier indien pour terminer la même modernisation. Un chantier russe utilise plus de 200 ouvriers en 3x8 pour terminer la modernisation en 2 ans pendant que HSL — un chantier spécialisé dans la construction de navires de commerce et avec peu d’expérience dans la modernisation de sous-marins — n’envoie que 50 ouvriers.

Il a fallu près d’une décennie aux chantiers navals Vizag et HSL pour moderniser les INS Vela et INS Vagli, les derniers survivants de sous-marins soviétiques de la classe Foxtrot achetés au milieu des années 70, ce qui signifie que les 2 sous-marins auront passé le tiers de leur vie dans une modernisation de mi-vie.

Malgré les objections d’une partie de la marine qui remettait en question les compétences du chantier, le Sindhukirti a été remis à HSL en 2004. La raison donnée était qu’il fallait développer les capacités de maintenance du pays en vue des futurs sous-marins.

"Développer les capacités nationales de maintenance est louable, mais cela doit-il être fait au détriment de la préparation opérationnelle ?" déclare un amiral. Il est clair que la préparation opérationnelle n’est pas une question qui inquiète un chantier du secteur public qui n’est pas tenu pour responsable. On ignore pourquoi la marine n’est pas plus dure envers HSL.

Est-ce parce que le chantier est un havre pour les officiers de marine en retraite ? Ou est-ce parce que le chantier naval de Visakhapatnam s’est montré tout aussi incompétent pour réparer rapidement les sous-marins ? Il a effectué les modernisations à mi-vie de 3 sous-marins Kilo, toutes effectuées en au moins 3 ans.

Dans une tentative d’arrêter le déclin de sa flotte, la marine a lancé cette année une demande d’information demandant à des constructeurs étrangers de sous-marins de faire des propositions pour la construction de 6 sous-marins supplémentaires. Il faudra au moins 5 ans avant que la première plaque d’acier ne soit découpée et, là encore, on ignore où les sous-marins seront construits.

Le seul chantier de sous-marins à MDL est plein avec la construction des 6 Scorpène. En attendant, la marine fouette ses 2 Foxtrot dépassés, le Vela et le Vagli qui ont déjà dépassé depuis 5 ans leur durée maximale d’utilité opérationnelle, attendant avec impatience l’arrivée de ses sous-marins nucléaires.

Notes :

[1Advanced technology vessel : navire à technologie avancée. Le nom derrière lequel les indiens cachent le projet de SNLE.

Source : India Today