Royal Navy : la “lettre du dernier recours”

  • Dernière mise à jour le 17 juillet 2015.

Quelque part dans l’Atlantique Nord, 365 jours par an, un sous-marin solitaire patrouille sans véritable destination. Depuis 1969, un des 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de la Royal Navy a toujours été en patrouille. Sa position n’est connue que d’une poignée d’individus, et la plupart des membres de l’équipage concerné ne la connaît pas non plus.

Alors que la responsabilité de la plupart des commandants de navires de la Royal Navy s’étend à leur équipage, les commandants des SNLE portent aussi un fardeau plus macabre : la responsabilité ultime de réagir en cas de destruction de leur pays. Dans les entrailles de chaque sous-marin, il y a deux coffres, l’un à l’intérieur de l’autre. Le coffre intérieur, renferme la “lettre du dernier recours”.

Une des premières tâches que doit accomplir le Secrétaire du Cabinet après la désignation, par la Reine, d’un nouveau Premier Ministre est de demander au nouveau dirigeant de rédiger cette lettre. Ce secrétaire, fonctionnaire, informe l’homme politique que cette lettre devra définir la réaction que le Premier Ministre souhaite voir exécutée, si une attaque nucléaire éliminait le gouvernement et la chaine de commandement. Selon le secrétaire, attaché à Tony Blair, celui-ci aurait « blêmi » à l’annonce d’un tel engagement personnel. Le Premier Ministre a une large latitude, quant aux options de destruction massive (et humaine) :
 Riposter avec des armes nucléaires
 Ne pas riposter du tout,
 Autoriser le commandant d’agir selon son bon vouloir,
 Placer le navire sous le commandement d’une marine alliée, nommément l’Australie ou les Etats-Unis par exemple.

Temps compté lui étant laissé en solitude, le Premier Ministre doit prendre une décision et la spécifier dans une lettre adressée aux commandants de SNLE de la Royal Navy. Le texte, inséré dans une enveloppe scellée, est placé dans les coffres du sous-marin. Aucune de ces lettres n’a jamais, à ce jour, été ouverte. Elles sont détruites à la fin du mandat de chaque Premier Ministre.

Seul, Lord Callaghan (1912 - 2005), Premier Ministre entre 1976 et 1979 s’est ouvertement exprimé à ce sujet :

S’il était devenu nécessaire ou vital [d’agir], cela aurait l’échec de la dissuasion, car l’arme nucléaire est clairement l’outil de la dissuasion. Mais si nous devions en arriver à ce stade, c’est-à-dire d’agir, j’ai estimé que je l’aurais fait. Bien sûr, j’ai éprouvé de terribles doutes à ce sujet. Je dois avouer que, si j’avais survécu après avoir pressé bouton, je ne me le serais jamais pardonné.

Parvenir au stade où les lettres peuvent être ouvertes, est un processus long et volontairement difficile. D’abord, le Premier Ministre doit être mort ou dans l’incapacité, quelle qu’elle soit, de décider. e. Ses suppléants, en la matière doivent avoir subi le même sort. Ce n’est qu’alors que les commandants de sous-marins peuvent s’approcher du coffre.

Si, en cas d’attaque, le Premier Ministre ou son remplaçant survivait, il rallierait un bunker protégé sous Whitehall (le ministère de la défense). De là, ce qui resterait du gouvernement donnerait les ordres de riposte par l’intermédiaire de la Task Force 345 (dépendant de l’état-major de la Royal Navy) basée dans un bunker dans les Chiltern Hills [1].

Dans une pièce décrite comme « glauque » par un ancien commandant, 2 personnes y sont de permanence 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Elles sont en communication permanente avec les sous-marins. Ce sont elles qui transmettent tous les messages, y compris les ordres de tir. Si le Premier Ministre le décidait, il transmettrait un code qui serait, à l’identique des sous-marins, authentifié à partir d’éléments conservés dans un coffre du bunker. Une fois authentifié, l’ordre de tir serait alors transmis au sous-marin.

Ce scénario repose, cependant, sur un postulat : le cœur du gouvernement a survécu aux premières actions d’une guerre nucléaire. C’est là que la “lettre du dernier recours” intervient. Si un sous-marin ne reçoit plus aucun message pendant un temps donné, il doit conduire un certain nombre de contrôles. L’un d’eux, original, est d’essayer de prendre la veille sur les programmes de Radio 4 Today pendant plusieurs jours. Cette exigence a provoqué une sacrée crainte en 2004 : pendant 15 minutes la station n’a plus émis.

Si la voix de James Naughtie [2] ne s’insinue pas dans le CO du sous-marin pendant trois jours consécutifs, le commandant et son second utiliseront leur clé individuelle pour ouvrir « leur coffre respectif », et découvrir le sort de la Grande-Bretagne dans une lettre du « 10 Downing Street » qui exprimera précisément que faire … ou non.

Notes :

[1à une quarantaine de kilomètres dans le nord-ouest de Londres

[2Journaliste emblématique de la chaîne au timbre de voix ”écossais” particulièrement marqué ... qui quitte ses fonctions à l’été 2015.

Source : Business Insider (Australie)