La marine russe : prête au combat ou rouillée ?

  • Dernière mise à jour le 28 mai 2014.

Le 8 mai dernier, le destroyer britannique HMS Dragon a appareillé de la base navale de Portsmouth pour une mission urgente : trouver et pister le porte-avions russe Kuznetsov et ses 6 navires d’escorte pendant leur traversée de la Manche.

« Une force russe de cette ampleur n’avait pas navigué dans la Manche depuis un certain temps, » a déclaré Rex Cox, le commandant du Dragon.

Il est exact que, depuis quelques mois, la marine russe est devenue plus active. Moscou a annexé la péninsule de Crimée, avec ses ports stratégiques, et s’est affirmé avec des déploiements de troupes, de navires et d’avions, le long des frontières entre la Russie et les pays membres de l’OTAN.

La Crimée est très importante pour le Kremlin parce que, de tous temps, la Russie a bataillé pour conserver des ports libres de glace en hiver. Capturer la Crimée a permis de garantir à la Russie un accès à des eaux libres de glace pour la navigation militaire et commerciale.

Mais la forte activité de la marine russe masque en réalité une faiblesse sous-jacente. Les bâtiments russes sont vieux et peu fiables. En effet, le gouvernement russe a de plus en plus de mal à les remplacer par des navires aussi grands et aussi puissants.

La Russie est un géant maritime vieillissant entouré par des rivaux beaucoup plus énergétiques.

Dans les dernières années de la Guerre Froide, l’Union Soviétique était décidée à égaler la puissante flotte de l’US Navy en haute mer. A la fin des années 70 et dans les années 80, Moscou a financé la construction de ses 3 premiers véritables porte-avions : le Kuznetsov et un sister ship à propulsion classique, ainsi qu’un autre à propulsion nucléaire. A cette époque, les États-Unis possédait 15 porte-avions, beaucoup plus gros que les 3 russes et pour la plupart à propulsion nucléaire. Malgré les réduction imposées après la fin de la Guerre Froide, les États-Unis disposent encore de 10 porte-avions nucléaires — plus 9 autres bâtiments porte-aéronefs.

L’effondrement de l’Union Soviétique a mis fin aux projets d’expansion navale de Moscou. Les Russes sont tout de même parvenus à payer le chantier naval ukrainien qui construisant le Kuznetsov. Mais il ne restait plus d’argent pour les 2 autres porte-avions. Aujourd’hui, un porte-avions neuf coute plusieurs milliards d’€.

Admis au service en 1991, le Kuznetsov est en fait le dernier grand bâtiment construit par la Russie. Depuis 23 ans, la Russie a réussi à construire quelques sous-marins, de petites frégates et des destroyers. Mais la majeure partie de la flotte actuelle de la Russie — et TOUS ses grands bâtiments — sont des reliques de l’époque soviétique.

Ils sont dépassés, sujets à de fréquentes pannes et largement inconfortables pour leurs équipages — en particulier quand on les compare avec les derniers bâtiments américains, européens ou même chinois. A eux seuls, les États-Unis construisent chaque année en moyenne 8 nouveaux navires, dont un tout nouveau porte-avions tous les 4 à 5 ans.

Lorsque Moscou a pris la décision, en mars dernier, d’annexer la Crimée, l’US Navy a rapidement envoyé son plus récent porte-avions, l’USS George H.W. Bush, en Méditerranée orientale pour rassurer les gouvernements des pays de l’OTAN. Le groupe aérien embarqué sur le Bush ne comprenait pas moins de 60 avions ultra-modernes. Le groupe tactique qui l’escortait, était composé de plusieurs destroyers de la classe Arleigh Burke, des navires modernes équipés de missiles et de canons pour se protéger contre les avions, les sous-marins et les autres navires.

En riposte, le Kremlin a envoyé le Kuznetsov. Le porte-avions vieillissant — beaucoup plus petit que le Bush — ne peut embarquer qu’une douzaine de chasseurs Sukhoi. Son groupe d’escorte — 6 navires — ne comprenait qu’un seul bâtiment lourdement armé, le croiseur nucléaire Pyotr Velikiy, construit à l’époque soviétique. Les 5 autres bâtiments étaient un petit navire amphibie, 3 pétroliers ravitailleurs et un remorqueur.

La présence du remorqueur peut surprendre, mais elle s’explique. Les rares fois où le Kuznetsov quitte le port, il tombe fréquemment en panne. En 2009, un court-circuit avait provoqué un incendie qui avait tué un marin.

Le Kuznetsov a suivi le Bush comme son ombre pendant quelques semaines, puis est rentré en Russie début mai en passant par la Manche. C’est là que le Dragon l’a découvert. Pour une présence plus permanente en Méditerranée, le Kremlin a envoyé un destroyer relativement moderne pour renforcer la petite flottille russe naviguant en Méditerranée.

Il ne reste plus beaucoup de temps au Kuznetsov. Ses bouilleurs sont « défectueux » selon le site spécialisé Defense Industry Daily. Lorsque, finalement, il sera envoyé à la casse, la Russie pourrait ne pas pouvoir le remplacer. La principale raison est que le chantier naval qui a construit tous les porte-avions soviétiques se trouve désormais en Ukraine. Il se trouve juste en dehors de la Crimée, et les forces russes n’ont pas réussi à s’en emparer.

D’autre part, l’Ukraine est resté le fournisseur exclusif de nombreux équipements de la marine russe, comme les moteurs et les réducteurs. Compte-tenu de la tension entre les 2 pays, l’Ukraine a décidé de stopper toute vente à la Russie.

Les tentatives de la Russie pour revitaliser son industrie de construction navale ne se sont pas passées en douceur. En 2005, l’Inde a signé un contrat pour remettre en état un petit porte-avions datant de l’époque soviétique. La qualité du travail effectué par la Russie sur le Vikramaditya est si mauvaise qu’il a connu une panne presque totale peu de temps après la fin supposée des travaux en 2012.

L’Inde a finalement accepté la livraison du Vikramaditya cette année — après que la facture ait triplé. Si la Russie ne parvient même pas à remettre en état un navire existant, on peut imaginer les difficultés auxquelles elle devrait faire face pour en concevoir et construire un tout nouveau.

Moscou sait que sa marine est dans une situation difficile. En 2011, la Russie a pris une décision extrême : acheter à la France des navires, les technologies et le savoir-faire.

Le projet était que les chantiers navals russes participent à la construction. « L’achat des technologies de construction des Mistral va permettre à la Russie de remettre sur pied une industrie de construction navale à grande capacité, » avait déclaré le commandant de la marine russe de l’époque, l’amiral Vladimir Vysotsky. « C’est important pour que nous puissions construire les futurs destroyers et même, plus tard, un porte-avions. »

Sans surprise, les chantiers navals russes se sont montrés incapables de gérer les travaux. En 2013, le Kremlin a demandé à la France de reprendre l’essentiel du travail.

Désormais privée des pièces fabriquées en Ukraine, l’industrie de construction navale russe est dans un état pire qu’il ne l’était déjà il y a quelques mois.

Cela augure mal pour l’avenir de la Russie comme puissance navale. L’interception par le Dragon du Kuznetsov pourrait se révéler comme un point tournant. Dans les prochaines années, les grands navires russes pourraient devenir de plus en plus rares.

Les conséquences sont graves pour l’influence de la Russie dans le monde. Et pour sa capacité à remporter une guerre sur ou sous la mer.

Source : Reuters