Les Soviétiques pourraient-ils avoir coulé l’USS Scorpion il y a 40 ans ?

  • Dernière mise à jour le 20 mai 2008.

Le 27 mai 1968, des dizaines de proches ont bravé une météo agitée pour accueillir l’équipage du Scorpion, un sous-marin nucléaire d’attaque de l’US Navy, de retour d’une mission de 3 mois. Après plusieurs heures de vaine attente, les familles très inquiètes sont rentrées chez elles. Cette nuit-là, les journaux télévisés américains annonçaient la nouvelle : le Scorpion avait disparu.

Une trentaine de navires, dont une dizaine de sous-marins, ont recherché le Scorpion. Des avions de patrouille maritime ont effectué 27 vols en une seule journée au-dessus de la dernière position connue du sous-marin, dans l’Atlantique Est, et le long de sa route supposée vers Norfolk.

Neuf jours plus tard, l’état-major annonçait aux familles le décès de l’équipage.

Deux sous-marins de recherche profonde ont plongé à plus de 3.000 m sous la surface de l’Atlantique pour retrouver et fouiller l’épave. Mais, 40 ans après la disparition du sous-marin aux heures les plus sombres de la Guerre Froide, on ignore encore ce qui est arrivé.

L’enquête officielle de la Navy n’a pas déterminé les raisons du naufrage du sous-marin. La plupart des dossiers concernant le Scorpion demeurent confidentiels. 2 livres récents accusent l’Union Soviétique d’avoir coulé le Scorpion, soi-disant en représailles de la perte de l’un de ses propres sous-marins dans le Pacifique.

Certains rejettent la théorie comme une fiction digne de Hollywood. Mais le fait est que, avec l’aide d’un espion américain qui n’avait pas encore été découvert, les Soviétiques savaient tout ce qui se passait au quartier général de la flotte sous-marine Atlantique de l’US Navy.

Au début des années 50, la Navy a commencé à installer des hydrophones sur le fond de l’océan. Les hydrophones enregistraient les sons et les retransmettaient vers la terre.

Comme les basses fréquences peuvent parcourir de grandes distances dans l’eau, les hydrophones peuvent entendre le bruit produit par une explosion sous-marine très éloignée.

Des spécialistes entraînés peuvent identifier les bruits, déterminer s’il s’agit d’un sous-marin classique ou nucléaire et à quelle marine il appartient.

Cette technologie, conçue pour aider la Navy à établir la position des sous-marins inamicaux, lui a permis de rassembler les dernières minutes du Scorpion avant même que l’épave ne soit localisée.

Le 22 mai 1968, pendant que le sous-marin revenait vers Norfolk, il a reçu des ordres de dernière minute pour aller reconnaître un groupe de navires soviétiques près des îles Canaries. Selon un chercheur, le commandant du Scorpion, le Cmdr. Francis Slattery, a envoyé un dernier message : “Nous sommes sur le point de commencer la surveillance des Soviétiques.”

Quelques heures seulement après l’envoi de ce message, des hydrophones situés à des milliers de km les uns des autres — à Terre-Neuve, aux Canaries et aux Bahamas — ont enregistrés des séries de sons similaires.

En juin, alors que le sort du sous-marin n’était pas encore connu, la Navy a rassemblé une commission d’enquête, constituée de 7 officiers, pour enquêter sur le naufrage. La commission a considéré que les sons enregistrés par les hydrophones — 15 séries de son sur 3 minutes et 10 secondes — étaient très similaires à ceux entendus lors du naufrage en 1963 du sous-marin Thresher.

Un expert a écouté les enregistrements. “Cela ressemble à une explosion,” a-t-il témoigné.

Le responsable de la flotte sous-marine de l’Atlantique n’était pas d’accord. Il a conclu que le naufrage du Scorpion était la conséquence d’une “voie d’eau accidentelle.”

Plusieurs mois plus tard, à la fin octobre, la Navy a annoncé qu’un navire remorquant du matériel photographique sur le fond de la mer avait finalement localisé l’épave, par 3.000 m de fond, à l’ouest des Açores et des Canaries.

Le rapport final, remis en janvier 1969, ne donnait aucune théorie particulière sur la cause du naufrage ; pas plus qu’il en excluait aucune.

Il semblait cependant écarter la possibilité que le sous-marin ait été attaqué.

“Il n’y avait aucun navire de guerre, de commerce, sous-marin ou avion Soviétique ou du bloc de l’est à moins de 200 nautiques de la dernière position rapportée par le Scorpion,” indique la commission dans son établissement des faits. Il n’y avait “aucune preuve” que la perte du Scorpion soit la conséquence d’“un acte inamical.”

A la fin des années 60, l’US Navy était très supérieure à la flotte soviétique.

Les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) comme le Scorpion étaient technologiquement plus avancés que les sous-marins soviétiques et parcouraient librement les mers en recueillant du renseignement.

Parfois, ils s’approchaient à quelques mètres des navires soviétiques, et ils jouaient au chat et à la souris, des jeux rendus célèbres par les romans de Tom Clancy.

Avec son réseau d’hydrophones le long des 2 côtes de l’Atlantique, la Navy avait indéniablement un avantage défensif. Le maître principal John Anthony Walker Jr. a rendu la plupart de ces avantages totalement inutiles.

Walker avait une habilitation aux informations les plus secrètes. Il a commencé à vendre aux russes les codes et les manuels techniques d’un matériel américain de cryptage.

A la fin 1967, il était affecté au quartier général de la flotte sous-marine à Norfolk, où il traitait le trafic envoyé et reçu des sous-marins.

Les informations transmises par Walker ont permis aux russes de traduire, en temps réel, les messages du commandant opérationnel aux sous-marins — comme celui ordonnant au Scorpion de contrôler les navires soviétiques.

Le FBI a arrêté John Walker en mai 1985.

Walker a été condamné à la prison à vie pour espionnage, sans possibilité de libération conditionnelle.

En 1993, la Navy a déclassifié une partie de ses dossiers sur le Scorpion. A peu près au même moment, à la suite de la chute de l’Union Soviétique, des informations ont commencé à sortir de Russie. Grâce à ces nouvelles sources d’informations, Ed Offley et Kenneth Sewell croient maintenant savoir ce qui a coulé le Scorpion : une torpille russe.

Les 2 hommes ont publié des livres — Offley en 2007, Sewell et son co-auteur Jerome Preisler cette année — selon lesquels le sous-marin a été attaqué par l’Union Soviétique en représailles du naufrage d’un de ses sous-marins.

En mars 1968, un sous-marin soviétique — le K-129 — a coulé dans le Pacifique, près d’Hawaï. Pour les experts militaires américains, le sous-marin s’est écrasé sur une montagne sous-marine et a coulé. Les dirigeants communistes à Moscou étaient apparemment persuadés que les américains l’avaient coulé.

Dans “Scorpion Down”, le livre de Offley, et “All Hands Down”, celui de Sewell, les auteurs prétendent que, après que le Scorpion ait reçu l’ordre d’observer le groupe de navires soviétiques au large des Canaries, les renseignements envoyés par Walker ont permis aux soviétiques d’intercepter le message et de tendre un piège au sous-marin.

Offley s’est entretenu avec des marins qui ont indiqué qu’ils avaient été informés avant le 22 mai qu’un sous-marin soviétique suivait le Scorpion, et que leurs bâtiments et leurs avions avaient été envoyés pour le soutenir.

Un contre-amiral en retraite a plus tard déclaré à Offley que l’analyse de certains messages montrait que le Scorpion avait été détecté par le groupe qu’il suivait et qu’il était lui-même suivi, et que les hauts-responsables craignaient le pire.

Offley pense qu’un sous-marin soviétique a descendu le Scorpion avec une torpille.

Sewell croit que c’était un hélicoptère soviétique de lutte anti-sous-marine. Un amiral russe en retraite, que Sewell ne nomme pas, lui a indiqué que l’attaque a été lancée eb représailles pour le naufrage du K-129.

Les 2 hommes prétendent aussi qu’au moins certains dans la Navy savaient que le Scorpion avait des problèmes bien avant que les familles de l’équipage ne se réunissent sur le quai.

La flotte sous-marine de l’Atlantique a envoyé 9 messages au Scorpion entre le 22 et le 27 mai. Trois demandaient une réponse. Aucune n’est jamais venu.

Le commandant de la flotte sous-marine de l’Atlantique, le vice-amiral Arnold F. Schade, a déclaré devant la commission d’enquête qu’il ne s’était pas inquiété du trou de 5 jours dans les communications et qu’il n’avait envoyé l’alerte SUBMISS [1] que lorsque le Scorpion n’était pas arrivé à quai.

Mais en 1983, lorsque Offley s’est entretenu avec Schade et l’ancien chef des opérations navales, l’amiral Thomas H. Moorer, les 2 hommes lui ont indiqué qu’une opération de recherches du Scorpion avait commencé le 23 mai, sans être annoncée, après que les responsables aient perdu le contact et 4 jours avant le retour au port.

Hunter, l’agent du FBI qui a arrêté Walker était si curieux quant à son rôle éventuel qu’il a posé la question à son homologue soviétique il y a quelques années. Oleg Kalugin était le superviseur au KGB de Walker pendant ses premières années, et son travail avec l’espion si prolixe l’a aidé à devenir le plus jeune agent jamais promu au grade de général du KGB.

Hunter a posé la question : Les soviétiques ont-ils utilisé les informations de Walker pour trouver le Scorpion ?

Kalugin a répondu qu’il ne pensait pas. Walker a commencé à espionner à l’automne 1967. A l’époque de la disparition du Scorpion au printemps suivant, a indiqué Kalugin, il recevait tellement d’informations de Walker, qu’il n’est pas sûr qu’il ait tout traduit et envoyé à Moscou à temps pour que cela puisse être utilisé contre le sous-marin.

Hunter ne peut pas savoir si Kalugin disait la vérité. Il est résigné à ne jamais savoir de façon certaine si les actions de Walker ont conduit à la mort des 99 marins du Scorpion.

L’amiral en retraite Carlisle Trost n’a pas de doutes.

“Je pense que c’est totalement improbable. Impossible. Le Scorpion aurait difficilement pu être surclassé par un sous-marin soviétique.” Trost était le commandant en second du Scorpion au début des années 60. Il se souvient bien du sous-marin. “Il était à la pointe de la technologie, le deuxième de la classe Skipjack. Il était très manœuvrant, comme une voiture de sport.”

Trost pense qu’il est temps de passer à autre chose.

“Laissez les familles en paix, au lieu de les troubler avec de nouvelles spéculations, livres et interviews.”

Notes :

[1Sous-marin disparu : “submarine missing”.

Source : The Virginia Pilot (Etats-Unis)