Sous-marins dans les zones littorales : les classiques juste bons àfaire de la fumée ?

  • Dernière mise à jour le 17 juillet 2007.

L’US Navy doit-elle revenir aux sous-marins àpropulsion diesel alors qu’elle réoriente ses forces pour faire face au défi que représente les opérations militaires dans les zones côtières ?

[(Dans tout cet article, on utilisera les codes OTAN pour faire référence aux types de sous-marins. Le terme de “sous-marin classique” est synonyme de “sous-marin diesel” ou “à propulsion diesel”, par opposition aux sous-marins à propulsion nucléaire.)]

Le débat agite les eaux de la communauté sous-marine. La question est de savoir si la Navy devrait s’appuyer sur les gros sous-marins d’attaque et lanceurs de missiles de croisière pour mener des opérations sous-marines dans les eaux littorales ou commencer à acquérir des sous-marins classiques plus petits pour effectuer ce travail. Les tenants des sous-marins diesel expliquent qu’ils pourraient s’approcher plus près de la côte que les sous-marins nucléaires et qu’ils seraient plus manoeuvrables, silencieux, moins vulnérables — et beaucoup moins chers.

Par conséquent, expliquent-ils, la structure idéale de la force sous-marine Américaine, en cette époque d’opérations littorales, serait un savant mélange qui combinerait des sous-marins nucléaires d’attaque à haute-capacité et des sous-marins lanceurs de missiles de croisière — SSN [1] et SSGN [2] — pour les conflits en haute mer à une flotte suplémentaire de sous-marins classiques pour les opérations côtières. Les sous-marins diesel seraient affectés à des bases avancées, pour aider à surmonter la limitation en rayon d’action et en mobilité. Et ils seraient équipés avec des systèmes modernes de propulsion AIP (sans atmosphère), qui emporteraient de l’oxygène sous une forme ou sous une autre, permettant aux sous-marins diesel de rester en plongée pendant des semaines sans faire surface ou remonter pour faire du snorschel.

Pour l’instant, la discussion dans les journaux professionnels de la Navy a été dominée par les partisans des sous-marins diesel. Mais de nombreux arguments mis en avant en faveur des sous-marins diesel pour les besoins particuliers de l’US Navy sont soit des mythes ou ont été exagérés de manière importante. On peut démontrer de manière très persuasive que la flotte de sous-marins nucléaires peut effectuer le travail mieux que les classiques, pour un coût global moins élevé. Il vaut mieux se concentrer, non sur l’acquisition de nouveaux sous-marins classiques Américains, mais sur le développement du concept de la “marine aux 1.000 navires” proposé par le Chief of Naval Operations (CNO) comme une force de sécurité maritime globale qui comprend des SSK [3] et des SSI appartenant à d’autres nations avec lesquelles nous coopérons.

 Rencontres rapprochées

Les tenants de l’acquisition de sous-marins diesel expliquent que, parce qu’un SSI est plus petit et a besoin de moins de place en mer qu’un sous-marin nucléaire, il peut s’approcher beaucoup plus près de la côte sans risque de toucher le fond avec son avant ou ses gouvernes, ou de faire surface sans le vouloir. En réalité, toutefois, les différences ne sont pas si importantes. Le SSGN ne mesure que 8 mètres de plus de haut qu’un SSI à propulsion diesel, et pour un SSN de la classe Virginia, la différence est seulement de quelques 5 mètres. De plus, la question de savoir de quel espace a besoin tel type de sous-marin dépend plus de la manière dont il est manoeuvré et de sa stabilité que de sa taille en elle-même. Selon les sous-mariniers, le principal pour naviguer en toute sécurité dans des eaux littorales avec un gros sous-marin est tout simplement d’avancer lentement.

De plus, la capacité des sous-marins nucléaires à opérer près des côtes peut être améliorée en les équipant de véhicules sous-marins autonomes (AUV [4]) ou sans équipage (UUV [5]) de petite taille. Ils peuvent être utilisés comme des senseurs à distance télécommandés, permettant à l’équipage de se projeter en avant et de combiner leurs éléments sur la situation sur place avec les données satellite sur les caractéristiques locales.

L’hypothèse que les sous-marins nucléaires sont moins manoeuvrables que les diesels est de la même manière erronée. Les sous-marins de la classe Virginia sont dotés d’un nouveau pilote automatique contrôlé par ordinateur et d’un nouveau système de barres de direction et de plongée qui leur permet de maintenir une immersion précise à 3 cm près et de rester parfaitement horizontal dans n’importe quelle mer (sauf les plus agitées). Par conséquent, ils peuvent s’approcher des côtes dès lors que la profondeur de la mer le permet. Les SSGN de la classe Ohio — des SSBN convertis en SSGN — sont aussi très stables. Dans leur précédente incarnation, ils devaient être capable de lancer des missiles nucléaires à plusieurs milliers de kilomètres avec la précision d’une tête d’épingle et retrouver rapidement leur stabilité pour être prêt pour un nouveau lancement. Au fur et à mesure que les sous-marins de la classe Ohio sont modifiés, ils reçoivent des améliorations dans les systèmes de barres de direction et de plongée.

Le rayon de giration est un autre faux problème. S’il est vrai qu’un SSI est généralement moitié moins long qu’un SSN ou qu’un SSGN, la longueur du navire n’est pas un facteur important dans la manoeuvrabilité horizontale. Et si un sous-marin nucléaire a besoin d’aller se glisser dans des endroits très étroits, il peut envoyer ses véhicules UUV ou AUV, qui sont beaucoup plus petits que n’importe quel SSI.

Il ne faut pas croire non plus qu’un SSI en plongée, qui n’utilise pas son snorschel, peut maintenir une vitesse élevée pendant de longues périodes. Lorsqu’un sous-marin diesel accélère à sa vitesse maximale, il tire l’énergie de ses batteries normales. Une fois que les batteries sont à plat, le système AIP d’un SSI lui permet d’avancer à seulement quelques noeuds. Si le commandant veut utiliser le système AIP pour recharger ses batteries, sa vitesse sera encore plus limitée pendant quelques temps. La réalité est que cela limite l’autonomie du SSI, rendant plus facile pour un sous-marin nucléaire de poursuivre et détruire le classique. Si le sous-marin nucléaire poursuivant est en difficulté, sa mobilité supérieure et son plus large éventail de contre-mesures (et un arsenal en plein développement d’armes comme les missiles anti-aériens lancés depuis un sous-marin Sidewinder et les torpilles anti-torpilles) vont lui permettre de se défendre seul si nécessaire, de se retirer dans les eaux profondes et de revenir plus tard dans la zone littorale à un moment plus approprié. Alors qu’un SSI doit utiliser ses carburants avec précaution et recharger fréquemment ses batteries, un sous-marin nucléaire peut recharger ses drones (UUV et AUV) indéfiniment.

En effet, équiper un sous-marin nucléaire de drones sous-marins résoud le problème du commandement et du contrôle discret de plusieurs SSI : il y a une seule salle de contrôle où toutes les décisions tactiques sont prises, en face à face. Des sous-marins indiquent que des simulations sur maquette ont montré qu’un seul sous-marin nucléaire équipé de 2 ou 3 drones autonomes peut surveiller une côte sur plusieurs centaines de nautiques de long.

 Avancer silencieusement

La question du silence — et au final, quel est le niveau de vulnérabilité qu’un sous-marin peut avoir — est complexe. Effectivement, un SSI posé sur le fond sans bouger sera temporairement difficile à localiser, mais seulement temporairement, et les performances de ses sonars et de ses armes seront dégradées par la configuration du terrain. Plus encore, des sous-mariniers américains indiquent que, au cours d’un engagement réel, les SSN Virginia et les SSGN Ohio sont tactiquement silencieux à des vitesses allant jusqu’à la vitesse de pointe d’un SSI, qui est d’environ 20 noeuds.

Mais un engagement entre un SSN et un SSI ne se produit pas à un instant donné. Il se déroule plus comme une campagne — le jeu du chat et de la souris se prolonge sur plusieurs jours. Les exercices menés au cours des dernières années contre des SSK et des SSI capables ont appris aux commandants de sous-marins Américains à ne pas se précipiter grossièrement dans la zone d’exercice, mais plutôt à jouer un jeu d’attente. Contrairement au sous-marin nucléaire, qui peut rester très silencieux jusqu’à ce que son équipage manque de nourriture, les SSK et les SSI plus petits ont besoin d’utiliser régulièrement des installations de contrôle de l’athmosphère, des pompes de cale, et d’autres installations auxilliaires, dont toutes produisent des signatures acoustiques qui vont révéler la position du classique aux sonars passifs largement supérieurs du sous-marin nucléaire (voir ci-dessous). De plus, des modes de fonctionnement exotiques de sonars actifs à des fréquences extrêmement hautes ou basses laissent envisager des performances extraordinaires de détection en premier contre des SSI rodant dans les eaux littorales.

La nouvelle classe de SSN, les Virginia, optimisés pour opérer en eaux littorales, est superbement silencieux, et ses signatures non-acoustiques ont été réduites au minimum absolu. Les SSGN de la classe Ohio ont commencé leur carrière comme des SSBN très difficiles à découvrir, et leur discrétion a été améliorée au cours de la conversion. Lors qu’on donne à ces navires un large éventail de données satellite sur les conditions locales de la mer — détaillées jusqu’à des profondeurs importantes — et équipés avec des UUV et des AUV devant être utilisés comme des senseurs lointains, leurs commandants connaitront mieux l’espace de bataille en eaux peu profondes que leurs adversaires.

Ceci dit, la furtivité n’est pas tout lorsqu’on parle de guerre sous-marine. Au cours des années, des sous-marins ont souvent dû abandonner temporairement leur invisibilité, soit pour révéler leur présence et faire fuir l’ennemi ou pour créer une diversion. Quelques fois — comme lors d’une opération de mise à l’eau d’un commando ou d’une opération de renseignement électronique — il est tout simplement impossible de rester discret. Virtuellement, tout sous-marin du monde réel engagé dans des opérations en eaux littorales révèle ponctuellement sa signature, ce qui interdit une invisibilité constante et totale ; c’est particulièrement vrai pendant les opérations de combat.

De plus, les eaux côtières contiennent généralement de haut niveau de bruit de fond, à la fois constant et intermittent, venant de navires de commerce, de plateformes de forage, et même des vibrations de l’industrie lourde sur la côte. Le vent, la pluie et les vagues peuvent aussi créer du bruit. Un sous-marin correctement équipé peut exploiter ce bruit de fond pour masquer les bruits qui pourraient rayonner à l’extérieur lorsque le sous-marin effectue certaines actions bruyantes. Par conséquent, les réseaux d’écoute ennemi posent moins de problèmes qu’il peut sembler. On peut dire la même chose des champs de mines statiques, puisque le travail du sous-marin est principalement de localiser, de cartographier et de les traverser avec précaution, pas de les détruire comme un chasseur de mines pour préparer le passage d’autres forces. En effet, la furtivité du sous-marin et sa protection ne dépendent pas seulement de la qualité des senseurs et des niveaux de bruit internes, mais aussi de l’entraînement donné aux officiers et à l’équipage et à la doctrine qu’ils respectent.

En résumé, un couteux sous-marin nucléaire, s’il est correctement commandé, et s’il travaille en tandem avec les navires et avions américains proches, n’est pas vulnérable d’une manière inacceptable face aux SSK et SSI ennemis moins chers. Des avancées dans les “communications rapides et en profondeur” ne peuvent qu’améliorer la capacité du sous-marin à faire parti de cette équipe Américaine en réseau. L’objectif de la puissance maritime en temps de guerre est d’infliger des pertes à l’adversaire en prenant des risques calculés. Une posture trop orientée sur les pertes potentielles conduit à la défaite.

 Les inconvénients du (sous-marin) diesel

La taille plus petite du sous-marin diesel a des plus et des moins. Peu importe le niveau de sophistication du sous-marin — et le déplacement en surface d’un SSI est seulement d’un tiers à un cinquième de celui du Virginia — il n’a pas assez de place pour abriter les armes, les drones, les sonars, l’électronique et les passagers des opérations spéciales qu’un sous-marin nucléaire peut accueillir. En général, la capacité d’un sous-marin à appréhender ce qui l’entoure augmente plus que proportionnellement avec son poids.

Par exemple, 6 consoles sonar alimentées par de grandes antennes sur la coque, avec des algorithmes de traitement du signal plus récents tournant sur des ordinateurs plus rapides, rassembleront plus que 3 fois la connaissance de 2 écrans, des antennes plus petites, des processeurs plus simples, et des ordinateurs moins puissants répartis sur 3 sous-marins distincts. Ceci est particulièrement vrai dans le cas des techniques les plus récentes utilisées pour chasser des SSI ennemis.

Le déploiement lointain de sous-marins diesel Américains tiendrait un peu du pari — en particulier s’ils sont déployés en petit nombre, comme le projet des tenants du classique le recommende. Comme les SSI ont une mobiblité limitée, ils sont essentiellement limités au théatre sur lequel ils ont été envoyés [6]. Si des tensions ou des combats devaient éclater sur un théatre dans lequel nos SSI ne seraient pas déjà déployés, ils pourraient ne pas arriver avant qu’il soit trop tard pour être utiles. A contrario, les SSN et les SSGN couvrent le monde entier.

Il y a aussi la question du coût. Même s’il est vrai que construire un sous-marin nucléaire peut être 3 à 5 fois plus cher qu’un sous-marin classique, ce n’est pas ce calcul qui compte réellement. Le chiffre le plus pertinent est de comparer la conception et la construction d’un nouvelle classe de sous-marins diesel en nombre adéquat avec la conception et la construction des AUV et UUV nécessaires pour équiper en nombre suffisant les sous-marins nucléaires existants pour leur utilisation dans les eaux littorales. Par ce calcul, les sous-marins nucléaires restent en tête, et représentent un meilleur investissement.

En conclusion : la meilleure stratégie à suivre pour adapter la force sous-marine de l’US Navy à la lutte en eaux littorales est de choisir des sous-marins nucléaires équipés d’UUV et d’AUV plutôt que de passer au sous-marin diesel. Même si le risque de perte est toujours présent, un SSN ou un SSGN peut battre ou s’échapper face à une escadrille de SSI ennemis, peu importe la manière dont ces navires hostiles peuvent être commandés. S’aligner sur le nombre de sous-marins, en déployant des SSI à la place de SSN, et ignorer les opportunités qu’offre la “marine aux 1.000 navires” proposé par le CNO, ne sauvera ni l’argent des contribuables, ni la vie des sous-mariniers.

Par Joe Buff

Cet article est d’abord paru dans Proceedings, le magazine de l’US Naval Institute (édition de juin 2007).

Notes :

[1Les SSN sont des SNA (sous-marins nucléaires d’attaque.

[2Les SSGN sont des sous-marins nucléaires lanceurs de missiles de croisière. Ce sont d’anciens SSBN (SNLE) reconvertis.

[3Les sous-marins diesel équipés de systèmes AIP sont qualifiés du code SSI, afin de les différencier des sous-marins purement diesel, les SSK.

[4Autonomous undersea vehicles.

[5Unmanned undersea vehicles.

[6Un SSI Suédois loué par l’US Navy a dû récemment être transporté de la Suède à San Diego sur un cargo (de même pour le trajet retour).

Source : Military.com (Etats-Unis)