Un officier de marine américain rédige une thèse sur l’achat de BPC Mistral par la Russie

  • Dernière mise à jour le 12 juillet 2011.

L’achat par la Russie de bâtiments sophistiqués auprès de la France a suscité de nombreux commentaires, spéculant sur les menaces supposées que cela pourrait représenter pour les états membres de l’OTAN ou certains de leurs alliés, en particulier la Georgie. Ainsi, selon Vlad Socor dans l’Eurasia Daily Monitor, cette vente était motivée par « le mercantilisme... court-circuitant l’OTAN et oubliant les notions de base que sont la solidarité et les alliances stratégiques. »

Un officier de l’US Navy vient de publier sa thèse de master (pdf) sur cet achat. Selon Dmitry Gorenburg, il s’agirait du « travail le plus complet sur le sujet ». Cet officier, le Lieutenant Commander Patrick Thomas Baker, explique que la Russie veut avoir ce type de bâtiments, non pas pour une capacité spécifique de combat, mais dans le cadre d’une stratégie plus large de modernisation de sa marine :

L’achat de BPC Mistral par la Russie s’explique par son besoin d’acquérir des technologies modernes de commandement et de contrôle, et de construction navale, plus que pour augmenter ses capacités amphibies en soi.

Le chef de la marine russe, l’amiral Vladimir Vysotskiy — qui est célèbre pour avoir expliqué que, avec un BPC Mistral, la Russie aurait été capable de battre la Georgie « en 40 minutes, pas en 26 heures » — s’intéressait déjà au bâtiment avant même la guerre de Georgie. Selon Baker, cela « suggère que le souhait d’acquérir un nouveau système précède l’identification d’une capacité nécessaire et le développement d’un système pour accomplir cette capacité. » :

L’amiral Vysotskiy a probablement considéré le Mistral comme un moyen d’élever le profil de la marine au sein du pays et de l’establishment militaire russe avec un grand bâtiment précieux, tout en proclamant l’insatisfaction de la marine avec les produits qu’elle reçoit des chantiers navals russes. En juillet 2010, l’amiral Vysotskiy a donné une interview sur l’Ekho Moskvy Military Council. Il y déclarait que, comme les forces russes abandonnaient le système basé sur la conscription et la mobilisation, pour un système d’unités et de forces permanentes, ces nouvelles forces avaient besoin de pouvoir se redéployer rapidement. Un Mistral pourrait certainement aider à cela. Vysotskiy a aussi indiqué que les Français avaient raison d’appeler les Mistral des BPC : bâtiment de projection (de force) et de commandement, et expliqué que la Russie les utiliserait de la même manière.

Baker analyse aussi en détail ce que la Russie aurait pu faire dans la guerre de Georgie, si elle avait eu un Mistral. Elle n’aurait probablement pas pu transporter des troupes vers la Georgie plus rapidement qu’elle n’a pu le faire avec ses bâtiments de transport actuels. Elle aurait pu envoyer des hélicoptères d’attaque plus rapidement, puisque les hélicoptères russes n’avaient pas pu traverser le Caucase à cause de l’altitude trop élevée. Le Mistral est un porte-hélicoptères, ce qui aurait pu aider à résoudre ce problème. L’étude après les faits des opérations a aussi montré que les système de commandement et de contrôle russes, s’étaient mal comportés pendant la guerre, et c’est aussi un point sur lequel les Mistral excellent. Cependant, Baker explique qu’aucun de ces points n’aurait véritablement changé la donne en mer Noire, et ne serait la raison en soi d’acheter le Mistral.

Certains analystes estime que des Mistral seront déployés en mer Noire, d’abord pour menacer à nouveau la Georgie. Il est exact que la Georgie est le seul pays que la Russie pourrait menacer en mer Noire. La Turquie est de loin une puissance navale plus importante que la Russie dans cette région. La Turquie contrôle les détroits du Bosphore et des Dardanelles, unique voie d’accès à la mer Noire. Les Mistral ne sont pas concernés par la convention de Montreux, mais la Turquie pourrait rendre les transits d’un bâtiment porte-hélicoptères très difficile. La Russie pourrait donc choisir de laisser les Mistral à l’écart de la mer Noire. Les autres pays riverains de la mer Noire sont aussi tous membres de l’OTAN. Comme le premier ministre russe, Vladimir Poutine, l’a déclaré de façon brutale, la Russie n’aurait pas besoin de Mistral pour envahir à nouveau la Georgie : l’armée russe est parfaitement capable d’exécuter cette mission.

Comme il y a déjà des bases russe en Ossétie du Sud et en Abkhasie, le soutien aérien d’un BPC Mistral ne serait probablement pas nécessaire. On peut imaginer que son utilité pour renforcer les troupes en Georgie, serait plus grande en hiver, quand la neige et le verglas limitent les mouvements dans le Caucase et le tunnel de Roki. Mais encore une fois, les autres bâtiments de transport de la Flotte de la mer Noire peuvent aussi le faire. La Russie pourrait aussi utiliser ses capacités de transport aérien. Un point qu’Aleksandr Goltz a souligné est que les Russes ont laissé des chars et des pièces d’artillerie dans les territoires occupés pour diminuer l’impact des déplacements de matériels par le tunnel de Roki, que la Georgie pourrait surement essayer de fermer dans un futur conflit.

Donc, il semble que l’importance des mouvements de matériels puisse être minimisée par la planification. Cependant, le renforcement de troupes pourrait être réalisé rapidement par avion. Le seul avantage significatif qu’un BPC Mistral apporterait à la flotte de la mer Noire serait sa capacité de contrôle et de commandement dans une opération terrestre à grande échelle. Néanmoins, comme la Russie a atteint ses objectifs en Georgie en 2008, il semble improbable qu’elle se lance à nouveau dans une invasion de grande ampleur, une qui nécessiterait des capacités sophistiquées de commandement.

Cette thèse est bien étayée, écrite dans un langage clair et fait autorité. Elle est véritablement utile pour ceux qui s’intéressent à cette vente et à la planification navale de la Russie en général.

Source : Eurasia Net