45 minutes de lutte à bord d’un sous-marin pour survivre face au tsunami

  • Dernière mise à jour le 30 mars 2010.

Voici le récit inédit des membres d’équipage d’un sous-marin chilien qui ont lutté en plongée contre le tsunami qui a dévasté le mois dernier les côtes chiliennes. Le commandant du sous-marin "Carrera", un sous-marin de la classe Scorpène, raconte ce que lui et son équipage ont vécu. La vague monstrueuse les a entraîné et les a fait tourner pendant presque une heure, de même que d’autres bâtiments, comme un mixeur.

Peu après 3 heures 30 le matin du samedi 27 février dernier, le capitaine de frégate Hernán Parga (42 ans), commandant du sous-marin Carrera, se réveille brusquement, comme de nombreux autres Chiliens, à cause du tremblement de terre. Comme il pouvait à peine tenir debout, il se rendit immédiatement compte de la violence de la secousse et il alla chercher ses enfants qui dormaient dans la chambre contigüe, dans sa maison de Talcahuano. "J’ai dû réveiller l’un d’entre eux, qui n’avait même pas senti le tremblement de terre", raconte-t-il.

Quelques minutes plus tard, son portable a sonné. C’était l’officier de garde du sous-marin, qui était accosté dans la base navale, prêt pour effectuer une maintenance de routine. "C’était comme si l’eau nous donnait des coups de fouet. Le sous-marin était secoué violemment", raconte le premier-maître José Riffo, qui était de garde.

Le commandant lui a ordonné d’appliquer le protocole prévu par la marine chilienne en cas de tremblements de terre : se préparer à appareiller en urgence. Lui-même arriverait dès que possible pour commander les manœuvres.

Le commandant Parga a pris sa voiture, a emmener sa famille dans un endroit sûr et a rejoint la base. Il s’était écoulé environ 30 minutes. Bien qu’il n’y ait eu encore aucune information officielle sur un possible tsunami, il avait été rejoint par le commandant en second et les officiers électricien et mécanicien.

Le Carrera était prêt à appareiller, mais Parga remarqua que le niveau de la mer était en train de descendre plus que de coutume.

Le remorqueur Fueguino, qui aide les sous-marins à se déplacer pendant les manœuvres de port, était déjà en train d’écarter le sous-marin du quai lorsque soudain, ils ont entendu un bruit. Le sous-marin avait touché le fond. Ils étaient échoués.

"A cet instant, nous entendons à la radio que les bâtiments qui avaient déjà pris la mer, annoncent que la vague arrive", se souvient le commandant. Devant l’impossibilité de faire autre chose, il donna l’ordre que tout le monde rentre à l’intérieur du sous-marin, où ils n’eurent pas d’autres choix que d’attendre les coups des vagues.

"Nous étions 4 sur le pont lorsque, au loin, le lieutenant Álvarez a aperçu la vague. Nous avons tous assuré puis nous sommes rentrés à l’intérieur", ajoute le premier-maître Riffo.

 Des minutes de terreur

Posé comme il l’était sur le fond de vase du port de Talcahuano, le sous-marin n’a pas pu éviter l’impact. Avec un énorme fracas, la première vague l’a soulevé et l’a projeté quelques mètres plus loin, à l’intérieur des bassins du port, un endroit à moitié fermé avec de bonnes conditions pour l’amarrage des embarcations en raison du peu de courant, mais qui à cet instant s’est transformé en un véritable mixeur. "Nous étions posés sur le fond, mais nous sentions comment la vague nous soulevait", raconte Riffo. "La force de la mer nous a projeté dans les bassins, où nous avons commencé à tourner en rond", explique le commandant.

Alors a commencé l’enfer, puisque non seulement, le Carrera est resté confiné dans un carré de 300 m de côté et de 12 m de profondeur. La force du tsunami a cassé les amarres de 4 docks flottants, un bateau de commerce et un bateau de pêche de grande taille, qui ont tous été poussés vers le même endroit.

"Nous étions secoués dans tous les sens et nous heurtions différentes choses. A chaque fois que quelque chose nous frôlait, à l’intérieur, le bruit du choc était très fort. Depuis le sommet du kiosque, nous pouvions voir des bateaux qui nous passaient au-dessus, sans nous toucher. Le bateau de commerce est passé à un mètre. Nous avons essayé de communiquer avec eux, mais ils auraient pu être chinois : ils ne nous comprenaient pas. L’ancre est passée à nous toucher", raconte Parga.

Un de ces obstacles n’a pas pu être évité. Le Carrera a heurté un dock flottant du chantier naval Asmar. La situation pouvait être très grave. Le sous-marin continuait à flotter, mais personne ne pouvait savoir la gravité des dégâts. Pendant 45 interminables minutes, et presque sans pouvoir s’orienter, l’équipage a manœuvré pour maintenir le sous-marin stable et éviter les collisions. "Il y avait de la peur, c’est sûr. Mais nous gardions notre calme. Au minimum, nous avons vérifié qu’il n’y avait pas de voie d’eau", raconte le premier-maître.

"Ensuite, le niveau de l’eau a baissé et le courant a commencé à se calmer. Comme il nous fallait sortir de là, j’ai envoyé des hommes sur le pont voir se qui se passait", se souvient Parga. C’est à ce moment que l’équipage du Carrera s’est rendu compte de ce qui s’était passé. "On ne voyait plus les bateaux qui se trouvaient auparavant au chantier naval. Tout était détruit à la base navale. Et encore, nous ne pouvions pas voir la ville", indique le commandant.

 Le miracle du Fueguino

Cependant, ils avaient encore des problèmes. Conçus pour être rapides en plongée, les sous-marins sont peu manœuvrables en surface et ils ont besoin qu’un remorqueur les aide. Et il était peu probable que le minuscule Fueguino" (à peine 4,5 m de longueur) ait pu supporter la vague... "Mais, rapidement, il était là, intact. Nous n’avons pas réussi à comprendre comment ses 2 membres d’équipage ont réussi à éviter tous les obstacles. Si quelque chose les avait heurtés, ils auraient coulé immédiatement", raconte le commandant, encore impressionné. Ils ont utilisé les lignes d’urgence pour communiquer avec l’embarcation, qui a commencé le remorquage.

Mais l’opération était délicate. Pour sortir des darses, le Fueguino devait manœuvrer dans un petit espace entre les portes des bassins et l’énorme bateau de pêche, qui bouchait l’entrée. "Mais, le navire-usine était passé avant, et je me suis dit : “Si cette grosse bestiole est passée, je passerai aussi”. Une fois dehors, il ne restait plus qu’à vérifier l’état du sous-marin. Est-ce que les moteurs fonctionnaient ? Pour l’équipage, l’incertitude était insupportable. La brillante acquisition de la marine chilienne courrait le risque de passer les prochains mois dans une cale sèche. Cependant, le Carrera avait seulement reçu des coups superficiels, et c’est par ses propres moyens qu’il s’est dirigé vers l’île de Quiriquina, où il espérait attendre le retour du calme.

"Je viens d’une famille de marins, mais ni mon père, ni mon grand-père n’ont jamais rien vu de tel. L’équipage s’est comporté de façon extra-ordinaire. Nous avons prouvé que nous sommes prêts à faire ce qu’il faut pour la marine et pour le Chili. Je suis très fier", assure le commandant.

Le dimanche suivant, en rentrant à la base, de nombreux membres d’équipage se sont rendus compte qu’ils n’avaient plus de toit. Pour cela, à peine avaient-ils accosté, ils sont allés voir leur famille et aider leurs collègues. Tous, sauf le commandant Hernán Parga. Il est resté un jour de plus à bord. Comme s’il avait peur qu’il se passe quelque chose à nouveau.

Son supérieur, le commandant de la force sous-marine, le commodore Ronald von der Weth Fischer, a déclaré après l’incident, que "les capacités des forces sous-marines sont intactes. Le Carrera commencera son entraînement au centre du pays après la Semaine Sainte". Il a ajouté que "je me sens fier de mes commandants et de leurs équipages". Il reconnait aussi que le Chili aurait parfaitement pu perdre toute sa force sous-marine. Il indique avec humour : "A ce qu’il semble, Dieu est sous-marinier ... et chilien".

Source : Nuestro Mar (Argentine)