Les attaques de pirates au large de la Somalie doublent malgré les forces navales

  • Dernière mise à jour le 31 décembre 2009.

Un hélicoptère tire des coups de semonce vers un présumé skiff de pirates. A bord, 6 somaliens sont assis au milieu de fusils d’assaut, de grappins et d’une échelle en aluminium. Mais avant que les marins d’un bâtiment de guerre puissent l’aborder, les pirates présumés jettent tout leur matériel par dessus le bord.

Avec si peu de preuves pour les arrêter, les supposés pirates sont laissés en liberté, à bord de leur embarcation et avec suffisamment de carburant pour rejoindre la Somalie. Rien n’est fait pour les empêcher de se réarmer et de faire de nouvelles tentatives.

Ces récentes rencontres en haute mer illustrent comment les forces multi-nationales déployées il y a un an pour lutter contre la piraterie, ont obtenu un succès limité. Selon des spécialistes, les attaques ne s’arrêteront pas, à moins que les repaires des pirates en Somalie ne soient supprimés.

Mais cet objectif reste illusoire. Le gouvernement somalien soutenu par les Nations Unies peut à peine contrôler une partie de sa capitale, laissé seul pour s’attaquer à terre contre les repaires des pirates. Les gouvernements étrangers sont, c’est le moins qu’on puisse dire, très réticents pour déployer des forces terrestres.

Les attaques de pirates ont pratiquement doublées en 2009 par rapport à l’année précédente, malgré le déploiement en décembre 2008 de la force navale de l’Union Européenne — la première force internationale spécifiquement montée pour lutter contre les pirates somaliens.

Elle a été suivie en janvier par la CTF (Combined Task Force) 151, composée de bâtiments de l’US Navy et de plusieurs autres nations alliées.

A ce jour, les pirates somaliens retiennent 12 navires et plus de 260 membres d’équipage.

Pourtant, les tenants de ces forces internationales soulignent que le taux de réussite des attaques de pirates a été divisé en gros par 2 depuis que les patrouilles ont commencé.

“Beaucoup plus de navires auraient été pris en otage si nous n’avions pas été là,” explique le Cmdr. John Harbour, le porte-parole de la force européenne. Il indique que les pirates n’ont pas capturé de navires dans le golfe d’Aden depuis juillet dernier, ce qui pour lui est la preuve de l’impact de la force. Mais lundi dernier, les pirates somaliens ont capturé à cet endroit un chimiquier britannique.

Cette année, les pirates somaliens ont essayé d’aborder au moins 214 navires, en en capturant, a indiqué mardi le Bureau Maritime International. A comparer avec les 42 attaques réussies sur les 111 tentatives effectuées en 2008, avant que les forces européennes et CTF-151 ne soient déployées. Et les 111 tentatives représentaient déjà une augmentation de 200% par rapport à 2007.

Les pirates ont répondu à la présence des bâtiments de guerre en portant leur attention vers des eaux moins protégées. Pour effectuer des raids au-delà des corridors maritimes très protégés, les pirates ont commencé à utiliser des navires capturés comme "bateaux-mères", leur permettant d’attaquer des navires jusqu’à 1.000 nautiques au large des côtes somaliennes, expliquent Harbour.

“Nous ne pouvons pas dire que quelqu’un a remporté la guerre contre la piraterie. Ca se poursuit encore,” a expliqué Cyrus Mody du BMI. “Il y a encore de nombreux actes de piraterie. Elle ne s’est pas réduite depuis l’an dernier.”

Même avec l’augmentation des attaques de pirates, seule une petite fraction des dizaines de milliers de navires qui naviguent chaque année par le golfe d’Aden et l’ouest de l’océan Indien sont visés. Cela explique pourquoi les gouvernements sont peu empressés pour déployer des forces terrestres pour neutraliser les repaires de pirates en Somalie.

Les forces navales qui interceptent les pirates emploient généralement une stratégie de “perturber et dissuader”. Les forces confisquent les armes et les autres équipements, puis relâchent les suspects avec assez de carburant pour regagner la Somalie, évitant ainsi les longs et couteux procès à terre. Généralement, seuls ceux qui sont pris la main dans le sac sont arrêtés.

Une fois que les pirates sont montés à bord d’un navire, les forces n’essaient pas d’intervenir, par crainte que des otages ne soient tués ou blessés.

Pourtant, même s’il y avait plus d’arrestations, la population somalienne touchée par la pauvreté fournit suffisamment d’hommes volontaires pour devenir pirates et toucher une part des rançons de plusieurs millions $. Ce n’est qu’en prenant le contrôle des côtes que la piraterie pourra être limitée, indiquent les experts.

“Cela ne pourra pas être résolu en parcourant l’océan Indien avec des bâtiments de guerre et en capturant quelques pirates,” a récemment déclaré le contre-amiral Peter Hudson, le commandant de la force européenne. “La solution à long-terme se trouve évidemment à terre, en Somalie.”

La Somalie du Nord montre comment des actions à terre peuvent se traduire en résultats concrets.

Les résultats commencent à être obtenus dans la région semi-autonome du Puntland, qui veut une part des 250 millions $ promis en avril dernier par une conférence de donateurs pour aider à stabiliser le pays et soutenir les actions humanitaires.

Jay Bahadur, qui a séjourné au Puntland pour effectuer des recherches pour un livre sur la piraterie, rapporte que, en janvier dernier, il n’y avait qu’un seul point de contrôle de la police aux environs de la capitale régionale, Garowe, pendant longtemps un repaire de pirates. En juin et en juillet, il y en avait beaucoup plus et les autorités locales avaient commencé à lancer des raids contre des pirates présumés, indique-t-il.

Il y a eu aussi un rejet local contre les pirates, souligne-t-il, parce qu’ils adoptent un comportement non-islamique, comme la boisson et les prostituées. Les rançons ont aussi provoqué une inflation galopante.

“A terre, l’atmosphère est de plus en plus anti-pirates,” remarque Bahadur.

La sécurité accrue à terre et en mer a repoussé les pirates plus au sud, loin de leur précédente base de Eyl au Puntland, dans les points forts de Haradhere et Hobyo, selon Bahadur et Harbour.

Mais il n’y a pas une telle présence de sécurité dans le sud, dont de larges pans sont contrôlés par les rebelles d’al-Shabab. Contrôler la piraterie n’est pas une priorité pour le faible gouvernement ou les rebelles, alors qu’ils combattent pour le contrôle de la capitale ravagée par la guerre civile, Mogadiscio.

La Somalie n’a pas les ressources pour lutter contre la piraterie. Sa marine a seulement 3 bâtiments opérationnels. Le chef de la petite marine de Somalie, l’amiral Farah Ahmed, a indiqué que plusieurs pays avaient promis de l’aide mais que rien ne s’était concrétisé.

Compte-tenu de l’absence d’état de droit en Somalie, les ressources limitées et la difficulté de poursuivre tous les pirates dans un vaste océan, les attaques de pirates vont rester un problème pour les années à venir, expliquent les experts.

Pourtant, Harbour a déclaré que la force navale européenne était persuadée qu’elle empêchait le problème d’empirer.

“Nous protégeons les océans contre les criminels,” a-t-il déclaré. “Aucune force de police ne peut parvenir à ce qu’une région soit complètement épargnée par le crime, mais notre action donne un résultat visible.”

L'analyse de la rédaction :

Outre la force européenne Atalante (CTF-465) et celle des Forces Maritimes Combinées (CTF-151), on trouve aussi une force de l’OTAN (opération Ocean Shield, CTF-508) et des forces envoyées par des pays (Chine, Russie, Japon, Malaisie, Inde, ...). Des réunions mensuelles du groupe SHADE (Shared Awareness and De-confliction) sont le cadre privilégié d’une coordination tactique. La plupart des bâtiments déployés, ainsi que des représentants de la communauté maritime, participent à ces réunions. Seul l’Iran ne participe pour l’instant pas à ces réunions.

Source : Virginia Pilot (Etats-Unis)