Nouveaux retards dans la construction des Scorpène indiens

  • Dernière mise à jour le 31 mars 2010.

Un air de résignation règne dans le chantier Est, un atelier géant des chantiers Mazagaon Dock Limited (MDL) de Mumbai en Inde, où les 6 sous-marins Scorpène doivent être construits pour la marine indienne. Il y a 2 ans, lorsque Business Standard avait visité cette installation, elle résonnait d’activité alors que les soudeurs assemblaient la coque du 1er Scorpène, qui devait être mis en service en 2012.

Depuis lors, des rumeurs de retard, de près de 2 ans, entourent le Projet 75, dans le cadre duquel les Scorpène ont été achetés. Business Standard a appris que le travail sur le 1er Scorpène a cessé et qu’il est improbable qu’il soit prêt avant 2015.

Plus terrifiant, le retard est dû à un problème de contrat, trouvant son origine dans le mythe, répandu par le ministère indien de la défense, que des parties importantes du sous-marin devaient être fabriquées en Inde.

Cela a conduit le ministère à créer une catégorie spéciale, appelée Mazagaon Procured Materials [1] ou MPM. Sur le cout total du projet de 2,8 milliards €, 403 millions € ont été mis de côté pour que MDL achète directement certains équipements. Mais, l’impression créée en donnant à MDL un budget pour acheter localement certains matériels ou équipements auprès de multiples vendeurs locaux était fausse. La plus grosse partie du budget MPM, comme le ministère le savait parfaitement, irait directement à un unique vendeur — Armaris — avec qui l’Inde avait signé le contrat Scorpène. ce budget permettrait d’acheter des systèmes critiques pour le sous-marin, comme les moteurs, les génératrices électriques et les aciers spéciaux.

Il n’était pas question de mise en concurrence pour ces éléments.

Comme ils touchaient des aspects cruciaux des performances du Scorpène, comme le niveau de bruit, ils devaient être achetés auprès du vendeur original, Armaris, pour que les garanties de performance soient applicables.

On ignore pourquoi le ministère indien de la défense a accepté que ces systèmes cruciaux pour le Scorpène ne soient pas chiffrés. Ce qui est clair, c’est que DCNS, qui a pris le contrôle d’Armaris en 2007, exige maintenant près de 700 millions € pour ces équipements, plus du double de ce qui avait été prévu.

Le ministre indien de la défense, Pallam Raju, a indiqué au Business Standard que DCNS expliquait l’augmentation du prix par l’inflation depuis la signature du contrat en octobre 2005. Le ministère indien de la défense a demandé au gouvernement français d’intercéder auprès de DCNS, mais Paris ne veut pas intervenir.

“Nous attendons du gouvernement français qu’il joue un rôle pour s’assurer que le prix de ces éléments MPM n’est pas anormalement élevé. Nous comprenons leur besoin de faire des profits, mais le prix ne devrait pas être anormalement élevé. Nous avons le sentiment que le gouvernement français néglige ses responsabilités,” a indiqué Raju.

Le ministère a plaidé sa cause auprès de nombreux responsables français, mais en vain. “Je me suis rendu à Paris en juin 2009 et j’ai rencontré DCNS. Ils nous ont assuré qu’ils nous aideraient, mais nous n’avons rien obtenu. J’ai présenté l’affaire au ministre français de la défense. En novembre, un haut-responsable du ministère français est venu à New-Delhi et je lui en aie aussi parlé,” indique Raju.

Le ministère indien de la défense explique que la prise de contrôle par DCNS d’Armaris a encore compliqué les négociations. Mais cela n’explique pas pourquoi un contrat qui a mis 9 ans pour être conclu ne prévoit le prix de ces équipements importants.

Des officiers de marine haut-placés, familiers des négociations, expliquent : “L’ajout de tant de systèmes cruciaux dans le paquet MPM — des systèmes dont tout le monde savait qu’ils devraient être achetés à Armaris / DCNS — a été une grave erreur de contractualisation. Cela a donné l’impression d’une plus grande « indigénisation »… puisqu’ils seraient apparemment des équipements que MDL achetait. Mais ce schéma s’est retourné contre nous.”

La mise en service des sous-marins Scorpène est encore loin. Ce n’est qu’après que le ministère indien de la défense et DCNS se seront mis d’accord sur un prix que la fabrication des moteurs, des génératrices électriques et autres commencera en France. Des techniciens travaillant sur le Projet 75 estiment que, une fois que le prix sera fixé et un contrat signé, il faudra 33 à 36 mois avant que les équipements soient livrés à MDL et installés à bord du 1er Scorpène. Ensuite, le difficile processus d’équipement du reste du sous-marin, installer les armes et les senseurs, puis effectuer de longs essais, pourra commencer avant de livrer le sous-marin à la marine indienne.

Mais le travail au chantier Est n’est pas entièrement stoppé. Ayant terminé la 1ère coque, MDL poursuit en construisant les 2è et 3è coques. Des responsables du Projet 75 estiment que cela permettra de livrer les sous-marins tous les 9 mois plutôt que les 12 prévus.

Jusqu’à ce que le contrat MPM soit signé et les systèmes livrés, le chantier Est de MDL ne construira pas des sous-marins, mais des tubes métalliques de 60 m de long pour un projet qui a commencé il y a 20 ans, et qui est progressivement devenu le symbole d’une planification militaire inefficace.

Notes :

[1Equipements achetés par Mazagaon.

Source : Business Standard (Inde)