Des équipages insuffisants peuvent mettre les marins en danger

  • Dernière mise à jour le 19 octobre 2009.

Lorsque le croiseur américain Port Royal s’est échoué au large d’Hawaï en février dernier, les enquêteurs ont identifié des causes liées au matériel et au personnel. Une partie des instruments de navigation du navire, comme le sondeur ne fonctionnait. L’équipage n’avait donc aucun moyen de savoir ce qui se passait.

Mais l’enquête a aussi révélé 2 autres problèmes, qui devient bien trop courant au sein des bâtiments de surface américain : le commandant manquait de sommeil et les veilleurs qualifiés avaient été affectés à d’autres tâches.

Ces 2 problèmes — trop de travail et pas assez de monde pour le faire — sont les conséquences d’une réduction importante de la taille des équipages des bâtiments américains, une pratique appelée “un équipage optimal”, qui réduit lentement les effectifs des bâtiments de la flotte.

Les conséquences, illustrées par des documents internes, ne sont pas à prendre à la légère :
 Horaires de travail accrus et réduction des précieux temps de repos,
 Réduction des effectifs affectés à l’entretien préventif et aux réparations,
 Personnel expérimenté affecté à d’autres tâches et jamais remplacé,
 Disponibilité moindre des bâtiments et parfois des accidents.

Selon un rapport de l’inspecteur général de la Navy, les problèmes de personnel sont le point dont les commandants d’unité se plaignent le plus.

Selon un marin, les conditions de travail se sont fortement dégradées : les marins accomplissent leur quart, puis vont effectuer leur travail avant de reprendre leur quart, sans même avoir le temps de dormir ou de manger.

Pour les officiers subalternes, les effets sont encore pires, puisque, en plus de leur travail et de leur quart, ils doivent se former pour obtenir leur qualification.

Mais le commandement de la Navy semble avoir pris conscience du problème de sécurité et d’efficacité au combat que cela pose. Et les premières décisions (fusion d’escadrilles, augmentation d’effectifs) commencent à être prises.

Mais il est peu probable que ces mesures aillent très loin. Ce qui coute le plus cher sur un navire, c’est son équipage. C’est pourquoi le commandement de la Navy conserve la même politique de réduction des équipages, parce que chaque poste supprimé d’un équipage, c’est autant d’argent que la Navy peut dépenser ailleurs.

C’est ce qui explique que depuis 2002, les croiseurs et les destroyers de l’US Navy ont perdu entre 40 et 50 membres d’équipage, les frégates de 30 à 40, et ce, alors même que les matériels n’ont pas changé : ils exigent toujours une attention permanente et un entretien couteux en temps.

La réduction de l’effectif total de la Navy, moins 60.000 marins en 6 ans, masque en fait que de nombreuses créations ont eu lieu dans le même temps : création du Navy Expeditionary Combat Command, et augmentation des effectifs des démineurs et des unités de génie.

Dans la flotte, d’autres changements ont été mis en place pour réduire les effectifs : suppression de la maintenance préventive des matériels non-essentiels, réduction des effectifs lors des périodes de disponibilité limitée.

Cette dynamique, extrapolée à toute la Navy, fait que des équipages réduits permettent d’économiser des milliards.

Et le besoin de personnel pour les guerres en Irak et en Afghanistan a aussi ponctionné les équipages : ce sont les individual augmentees. Bien qu’ils ne soient plus à bord, pour la bureaucratie de la Navy, ils font toujours partie de l’équipage et ne sont donc pas remplacés. Et les chiffres officiels des équipages des bâtiments peuvent être trompeurs.

Et lorsque les bâtiments sont au port, des membres de leur équipage est prélevé par le commandant du port pour effectuer des gardes ou d’autres tâches, plutôt que de s’entraîner, se reposer ou réparer leur matériel.

Au total, la Navy a adopté une culture du faire-semblant — de compter en permanence sur des marins qui sont “temporairement” absents ou n’ont même jamais été là.

“Le problème est que chaque commandant fera son devoir, accomplira sa mission. Chaque marin fera toujours son travail. Mais à quel prix ? Fatigue, faible taux de fidélisation et, peut-être, des accidents.” explique un marin.

Un marin du destroyer John Paul Jones a compté que les membres de son équipage avaient dormi de 3 à 5 heures par nuit pendant des semaines. Et le manque de sommeil n’est pas seulement désagréable. Il peut aussi être mortel, explique le Capt. Nicholas Davenport, expert de la fatigue au centre de sécurité naval.

“La fatigue peut avoir plusieurs conséquences. La plus évidente, c’est quand les gens s’endorment pendant leur quart ou leur travail. Il y a aussi les ‘micro-sommeils’ pendant une seconde ou 2, et la personne ne s’en rend pas compte. Plus on est fatigué, plus les fonctions cognitives se dégradent.”

Les conséquences peuvent être dramatiques pour un commandant ou un officier de quart dont on attend qu’il prenne des décisions importantes.

Et le manque de personnel ne provoque pas seulement le manque de sommeil. Dans un cas parmi d’autres, un opérateur sonar a passé 6 mois sur les 7 d’un déploiement à servir au mess des officiers parce que le bateau manquait de serveurs.

Une étude a même permis de lier la fréquence des accidents à l’importance du manque de personnel sur les frégates de l’US Navy.

Source : Navy Times (Etats-Unis)