Piraterie en Somalie : pourquoi les solutions ne peuvent être trouvées en mer

  • Dernière mise à jour le 3 septembre 2008.

A la fin mai, il y avait déjà eu plus d’une douzaine d’actes de piraterie dans les eaux situées au large de la Somalie, et les attaques continuaient à un rythme régulier et effrayant.

Pendant plus de 2 ans, l’Organisation Maritime Internationale (OMI) avait demandé au Conseil de Sécurité des Nations Unies de prendre des mesures pour combattre la piraterie en Somalie, un phénomène qui a augmenté régulièrement, au point de devenir la plus importante industrie de ce pays dévasté.

Dans une décision sans précédent, le 2 juin, le Conseil a adopté la résolution 1816, qui autorise les bâtiments militaires étrangers à entrer dans les eaux territoriales somaliennes pour une période initiale de 6 mois (et qui sera probablement prolongée) pour utiliser “tous les moyens nécessaires” pour réprimer les actes de piraterie et les vols à main armée en mer, dans le respect des mesures existantes des lois internationales.

Bien que la résolution soit bien accueillie par les compagnies maritimes, les assureurs, les vacanciers et les autres qui se retrouvent au large de la Corne de l’Afrique, elle fait peu de choses pour s’attaquer aux racines de la piraterie en Somalie, et par conséquent, se réussira probablement pas à stopper les actes de piraterie au large de ce pays en déshérence.

 Un Etat oublié par le monde entier

Bien qu’il y ait de nombreuses raisons pour la montée des attaques de pirates au large de la Somalie au cours des dernières années, l’indifférence occidentale envers ce pays doit être placée en tête de la liste.

Cela fait maintenant plus de 17 ans depuis la chute du régime de Siad Barre, le dernier semblant de véritable gouvernement national que la Somalie ait connu. Depuis, plusieurs autres crises internationales, depuis les Balkans, à l’Inde / Pakistan, l’Afghanistan et l’Irak, ont concentré l’attention du monde et relégué les conflits et les disputes régionales de “moindre importance” en dernière page des journaux.

Cela vient, bien sûr, s’ajouter à l’indifférence apparente du monde envers les questions africaines en général, à l’exception de cas sortant de l’ordinaire comme le génocide au Rwanda en 1994 et les guerres civils d’Afrique de l’Ouest alimentées par l’argent du diamant.

Même la guerre civile du Congo, entre 1998 et 2003, qui a impliqué au moins 8 pays et provoqué plus de 5 millions de morts — le plus grand nombre de morts depuis la 2nde Guerre Mondiale — , est resté largement ignoré de l’Occident.

Depuis 1991, la Somalie a glissé le long d’une pente brutale jonchée de clans guerriers, de mouvements séparatistes et d’interventions occidentales ratées qui ont, tout cela ensemble, attribué à ce pays l’honneur douteux de pouvoir être véritablement qualifié d’“Etat défaillant”.

Aujourd’hui, cette absence d’autorité centrale et d’intervention occidentale efficace a conduit l’anarchie somalienne à dépasser son rivage pour infecter ses eaux territoriales qui s’étendent le long d’un des carrefours maritime les plus importants, les approches de la mer Rouge.

Bien que la récente résolution du Conseil de Sécurité dirigée contre la piraterie somalienne soit un premier pas positif, l’étendue et la sophistication de la piraterie en 2008 signifie que la communauté internationale devrait agir à la fois sur terre et sur mer ; il reste à voir si la volonté existera d’agir sur terre.

 Leader mondial

Loin d’être un groupe de mécréants réunis par le hasard, drogués avec du khat et cherchant de l’argent facile, les pirates somaliens font partie d’organisations criminelles bien financées et organisées basées en Somalie, dans les régions semi-autonomes du Puntland et du Somaliland, ainsi que dans des états comme le Kenya, la Tanzanie, et les Emirats-Arabes-Unis. Certains ont même suggéré que le Canada, qui accueille la plus importante communauté somalienne en dehors d’Afrique, pourrait aussi être le siège de cellules logistiques et d’organisation des pirates somaliens.

Les experts de la question disent qu’il y a 5 groupes principaux de pirates qui opèrent le long des 3.025 kilomètres de côte de la Somalie (les plus longues d’Afrique), chacun lié à un puissant chef de guerre qui, à son tour, a des liens avec le Gouvernement Fédéral Provisoire du président Abdullahi Yusuf, largement inefficace.

Bien qu’issue de l’opportunité de ne pas avoir d’autorité centrale pour l’empêcher, certains ont prétendu que la piraterie somalienne est en fait considérée par beaucoup dans le pays comme fournissant un service essentiel en régulant les eaux territoriales du pays et en empêchant la pêche illégale et le rejet de déchets toxiques.

Bien que cette évaluation auto-justificatrice puisse être rejetée par les compagnies maritimes occidentales dont les navires sont la cible des attaques, la pêche illégale dans les eaux somaliennes rapporte en réalité beaucoup d’argent. Les Nations Unies estiment que le pays perd chaque année près de 100 millions de $ à cause de la pêche illégale par des pays aussi divers que l’Espagne, la Corée du Sud et l’Egypte.

L’exercice du sens de devoir national des pirates, qui pourrait avoir commencé comme un exercice de protection maritime, est désormais devenu la plus importante industrie de Somalie.

Dans un pays où le revenu annuel moyen est au mieux de 600 $, un pirate gagne de 10.000 à 30.000 $ par an, un montant inaccessible pour la plupart des somaliens. Cette année seulement, les rançons payées ont atteint 800.000 $ pour un cargo allemand ; 700.000 $ pour un cargo hollandais ; 1,6 million $ pour un brise-glaces danois ; et les propriétaires du désormais célèbre yacht de luxe Le Ponant auraient payé 2 millions $ pour le faire libérer.

Pendant que les pirates somaliens retiennent généralement les navires battant pavillon occidental pour des rançons, les navires dont les propriétaires sont moins riches, sont utilisés comme base (“vaisseaux-mère”), permettant aux pirates d’attaquer des navires naviguant beaucoup plus loin en mer.

Dans le cas de l’attaque du Ponant, il a été attaqué à plus de 160 nautiques au large des côtes somaliennes par un gros chalutier battant pavillon du Yémen qui a lancé 2 embarcations rapides plus petites, chacun avec 6 pirates armés de AK-47 et de RPG (lance-roquettes).

L’utilisation de ces “vaisseaux-mère” signifie que la zone de danger pour les navires naviguant près de la Somalie s’est étendue très loin au large.

Il y a 5 ans, on conseillait aux capitaines de rester à au moins 50 nautiques au large de la Somalie.

Cependant, aujourd’hui, à cause de l’augmentation des attaques de pirates et de leurs capacités accrues, comme le GPS et les téléphones satellite, ce conseil a été étendu à 200 nautiques, et devra probablement encore être étendu après que le chalutier espagnol “Playa de Bakio” ait été attaqué à la fin juin par des pirates somaliens à 247 nautiques des côtes somaliennes.

 Prévention ou assistance aux groupes de pirates ?

Donc, quel effet aura la résolution de l’ONU sur la piraterie somalien ?

A court terme, il est probable que cette résolution réussira à réduire les attaques de pirates.

Les zones entourant directement les eaux territoriales somaliennes sont patrouillées par la CTF-150, une flotille de navires militaires actuellement commandée par un commodore canadien.

Les forces navales de la coalition ont connu des succès contre les pirates somaliens, comme l’opération de la marine nationale pour bloquer et arrêter les responsables de l’attaque du Ponant, et le succès de l’US Navy à obtenir la libération du pétrolier japonais Golden Nori.

Cependant, malgré ces succès, la CTF 150 et d’autres marines alliées ne peuvent espérer patrouiller et surveiller la totalité des eaux territoriales qui ont la taille de la partie terrestre de la Somalie, particulièrement parce que la zone de responsabilité de la CTF-150 s’étend depuis le nord de la mer d’Arabie jusqu’en mer Rouge et dans le golfe d’Oman.

En raison d’autres événements survenant dans la région, comme la contre-bande entre la côte de Makran au Pakistan et la péninsule d’Arabie, le trafic d’êtres humains, la recherche des armes de destruction massive, et la récente tension entre les Etats-Unis et l’Iran, les nations occidentales sont probablement incapables de consacrer suffisamment de forces navales aux eaux somaliennes pour traiter adéquatement la piraterie.

En fait, l’Histoire montre qu’une approche “off shore” au mieux marginalisera les pirates somaliens pendant l’application de la résolution de l’ONU, et ne réussira pas à régler le problème-clé de l’absence de tout gouvernement central. La piraterie en Somalie a commencé à la suite de la chute du gouvernement Barre en 1991.

Il y a peu d’indications suggérant qu’elle ait commencé avant ça. Pendant le règne du l’Union des Tribunaux Islamiques, un regroupement de clans musulmans sunnites qui a contrôlé le sud de la Somalie en 2006 pendant 6 mois, les attaques de pirates avaient pratiquement disparu dans la vaste zone qu’ils dirigeaient puisqu’ils avaient rétabli un ordre qui n’avait pas été connu depuis près d’une génération.

Bien que considéré comme un gouvernement inacceptable par les puissances occidentales à cause des liens supposés des Tribunaux Islamiques et de l’accueil de militants d’al-Qaeda, ils ont cependant réussi à ramener la stabilité dans le sud de la Somalie pendant le court moment qu’ils ont passé au pouvoir.

Au cours des derniers mois, les Etats-Unis ont lancé des missiles de croisière Tomahawk depuis des sous-marins et des avions AC-130 ont effectué des passages en tirant sur tout ce qui bouge.

Ces tactiques ont rarement atteint leur objectif déclaré, et ont tué de nombreux civils, provoquant la colère des habitants et les poussant dans les bras de groupes comme les Tribunaux Islamiques. Lorsque des troupes étrangères ont débarqué en Somalie, le résultat a, trop souvent, été désastreux, à la fois pour les forces étrangères et les somaliens.

Le Canada et les Etats-Unis ont envoyé des troupes dans le pays au début des années 90. Le Canada a dû retirer ses forces à la suite du “Scandale Somalien”, et les Etats-Unis ont perdu 19 Marines en 1993 lors des événements qui ont été dépeints dans le film “La Chute du faucon noir”.

Le Pakistan, un autre membre de la CTF-150, a perdu la même année 24 soldats dans des combats contre une milice somalienne. Les troupes éthiopiennes, le plus important contingent d’un pays de l’Union Africaine, qui ont renversé les Tribunaux Islamiques et restent dans le pays pour assurer la sécurité, sont régulièrement la cibles d’insurgés somaliens, avec des dizaines de morts depuis 2006.

 Aller de l’avant

Compte-tenu des priorités et des engagements actuels, ainsi que des crises persistantes au Darfour et au Zimbabwe, il est très improbable que les nations occidentales vont engager un effort et des ressources importantes dans la résolution de la crise politique somalienne.

Tout aussi improbable, malgré ses meilleurs efforts, que l’Union Africaine, grâce à ses forces de maintien de la paix et ses négociateurs, soit capable de ramener la paix et la stabilité dans un pays qui a été ravagé par le chaos pendant tant d’années.

Une nouvelle approche est clairement nécessaire à la fois pour aider ce pays et en finir avec la piraterie au large de ses côtes.

peut-être, cette approche reconnaîtra-t-elle finalement l’indépendance des régions du Puntland et du Somaliland, qui ont agi sans aucun contrôle de Mogadiscio depuis près de 20 ans et qui sont sur la ligne de front de la lutte contre la piraterie.

Bien que reconnaître de nouvelles entités politiques puisse être un jeu dangereux, l’alternative reste la famine persistante, la piraterie accrue, l’utilisation du pays comme refuge par les terroristes, et le risque que les disputes internes de la Somalie ne finissent par dépasser les frontières et contaminer les pays voisins plus qu’ils ne le sont déjà.

Reconnaître ainsi ces 2 quasi-états devrait leur permettre de renforcer leurs institutions, poussant les pirates vers le sud, vers des régions où manque la loi et l’ordre et, ainsi, facilitant leur contrôle par les forces de la coalition.

Bien que la récente résolution de l’ONU puisse réduire fortement à court-terme la piraterie dans les eaux somaliennes, cette action sera incomplète sans une stratégie complète visant à réduire les divisions politiques et restaurer une autorité centrale véritable en Somalie, des conditions qui permettent le maintien de la piraterie.


Christian Bedford est un chercheur de la marine canadienne (conseiller politique pour la région Asie-Pacifique au Quartier Général du Pacifique).

Source : Victoria Lookout (Canada)